L’État belge n’a plus la force de croire à sa propre survie

L’actualité économique rend encore plus incertain l’avenir d’un fédéralisme qui ne convient déjà plus à la Flandre. La combinaison d’un fort déficit budgétaire et d’une dette publique parmi les plus élevées d’Europe (plus de 100% du PIB), à quoi s’ajoute une faiblesse structurelle de l’autorité de l’État, discrédite la Belgique sur le plan international. Dans un environnement mondial plus dangereux que jamais, le régime belge s’enlise dans le tumulte institutionnel sur fond de détérioration de ses finances. Le moment approche où les partis ne seront même plus capables de former un gouvernement d’urgence ou de prolonger celui qui est en affaires courantes. Ils seront contraints, comme les Tchèques et les Slovaques en 1992, de négocier la partition du pays.

L’impasse historique du fédéralisme belge accentue la crise de l’Etat à travers l’hallucinante autodestruction collective d’une société politique. La Flandre n’a plus de projet pour une Belgique avec laquelle elle n’a plus guère d’affinités. Et la Belgique, depuis longtemps, n’en a plus pour la Wallonie. L’instabilité institutionnelle et l’insécurité juridique s’additionnent et entretiennent la culture de l’échec.

Il n’y a plus d’intérêt général belge. Aux yeux de la nouvelle génération flamande, la Belgique n’offre plus de valeur ajoutée et l’intérêt de la Flandre passe avant celui de l’Etat fédéral1. Les hommes d’État ou ceux que l’on qualifiait ainsi ont disparu, ayant cédé la place à des gestionnaires de l’immédiat ou à des administrateurs du provisoire. Pour que la Belgique réussisse une réforme miraculeuse, il faudrait au moins qu’elle croie à sa propre survie et manifeste une forte volonté de se perpétuer. Ce n’est pas le cas. Le malheur belge résulte du choc entre un Etat flamand qui s’affirme avec fracas et un Etat belge qui s’efface sur la pointe des pieds. Une cohabitation n’est pas possible, sur un même territoire, entre un État émergent et un Etat déliquescent : c’est le plus faible qui va s’évaporer.

En doctrine, fédérer c’est unir, rapprocher, faire converger. En Belgique, le fédéralisme est une disjonction et une soustraction. Partager à l’excès la souveraineté, la disperser, la découper, c’est aller à la ruine de l’État. Mais ici l’État est devenu impossible. On ne le ressuscitera donc pas. L’arbre planté en 1830 ne donne plus, aujourd’hui, qu’un fruit stérile : on parle du processus fatal par lequel une nation à la fois ancienne et jeune – la Flandre – en est venue à étouffer la fausse nation belge et à démanteler un État que l’Europe avait installé plus ou moins arbitrairement. Les efforts méritoires mais désespérés des Francophones pour sauver la belgitude, même au prix d’un pacifisme naïf, ne parviendront pas à inverser le cours des choses. A l’instar des fédéralismes tchécoslovaque, yougoslave, soviétique, ou canadien, le fédéralisme belge est assis sur une provision d’explosifs politiques. Deux démocraties vivent non pas côte à côte mais avec les regards tournés vers un ailleurs. Loin de marcher d’un même pas, Flandre et Wallonie cheminent chacune à son propre rythme, dans leur huis clos respectif, s’écartant insensiblement comme les deux rives d’un fleuve à l’approche de son embouchure. Pour autant que les Wallons et les Flamands vivent encore en chambre commune, ils ne font plus les mêmes rêves. Le fédéralisme belge n’a pas rapproché les « frères ennemis » et n’a nullement pacifié leurs relations ; il a seulement mis en évidence leurs divergences et exacerbé leurs contradictions.

éditorial de Paul-Heny Gendebien, ancien député européen

1 En août 2006, le futur Premier ministre Yves Leterme avait déclaré à Libération : « La nécessité d’avoir un gouvernement fédéral passe au second plan par rapport aux intérêts de la Flandre ».