La monarchie ciment de la Belgique ?

Billet d’Albert Barral, professeur émérite de philologie romane

Parmi les arguments ressassés par les médias pour justifier la nécessité ou en tout cas l’utilité de la monarchie belge, le plus fréquent est celui d’un roi qui maintiendrait l’unité d’un pays complexe.
Mais est-ce bien vrai ?
Les récents « joyeux départs » du roi Albert vont nous donner des éléments de réponse.
« La monarchie, ciment de la Belgique ». Depuis tout un temps, les médias répètent cette phrase à satiété. La majorité de ceux qui disent cela – surtout du côté francophone, nous y reviendrons, car ce n’est pas sans intérêt – sont victimes de ce que les Allemands appellent « Wunschdenken », que l’on pourrait traduire par « prendre ses désirs pour la réalité »  On pourrait aussi dire : chimère, espoir naïf, illusion, utopie, vœux pieux, voire magie.

Ils sont au fond excusables, car ils se trompent eux-mêmes. Ayant peur de la scission de la Belgique, ils s’accrochent à n’importe quoi, pareils à quelqu’un qui se noierait.
En face, il y a les responsables politiques des partis dits traditionnels, qui leur tiennent ce même discours. Mais eux sont d’autant moins pardonnables qu’ils sont bien placés pour savoir que ce n’est pas vrai. Eux mentent au bon peuple en lui disant ce qu’il a envie d’entendre : « Dormez en paix, bonnes gens ! »
Et puis il y a ceux qui tout en étant partisans d’une Belgique unie, sont suffisamment lucides et surtout honnêtes pour s’apercevoir que tout cela n’est que du vent et regarder la vérité en face, même si elle leur déplaît.
Béatrice Delvaux, en ce 19 juillet, est de ceux-là. Dans son éditorial intitulé « Le roi Philippe tient à un fil fragile », elle écrit : « Une foule chaleureuse à Eupen, quelques centaines de spectateurs à Gand : le signe est là, de ce schisme de popularité et d’intérêt envers la monarchie, entre le nord et le sud du pays. »
Trop peu pour conclure ? En soi oui, mais d’autres indicateurs ne manquent pas. Ainsi les ventes de journaux lors de l’annonce de l’abdication : tous les titres au nord du pays se plaignent de l’absence d’effet en librairie sur les ventes des éditions spéciales du fameux jour, contrairement aux francophones, qui notent un sursaut dans leurs courbes. Résultat : les jours qui ont suivi l’annonce du départ d’Albert II et l’avènement de Philippe, la presse flamande, TV comprises, a mis la pédale douce sur l’actualité royale, alors que les francophones multipliaient les initiatives. »
L’accueil des Liégeois, le lendemain de la publication de l’éditorial, ne fait que confirmer cette « différence d’émotions envers la famille royale. »
Elle ajoute : « Mais ce qui frappe aujourd’hui, c’est la décontraction avec laquelle nombre de politiques au nord du pays – pas seulement N-VA ou Vlaams Belang – évoquent publiquement le peu d’utilité, voire l’inutilité, de la monarchie, souhaitant la réduire à un rôle strictement protocolaire – les partis flamands se sont dits illico favorables à l’idée, il y a quelques jours – ou s’interrogeant sur sa plus-value.

Un journal politiquement du nord du pays affirme, sans aucun bémol, que la monarchie en Belgique n’a aucune valeur ajoutée ou de nécessité, à la veille du « couronnement » d’un nouveau Roi, est tout sauf banal. Et dit surtout la fragilité qui est désormais celle d’un système qui trouvera peu de défenseurs flamands si un dérapage d’envergure devait se produire. Dès lors que la popularité de certaines personnes royales n’est plus une certitude, il risque de se trouver très peu d’hommes politiques au nord du pays pour défendre la monarchie, ou en tout cas vouloir lui conserver un rôle autre que d’apparat. Et tout montre aujourd’hui que le sud ne sera pas assez fort (et convaincu ?) pour s’y opposer. »
Ainsi, pour que la monarchie puisse vraiment jouer ce rôle de symbole fédérateur d’un pays en crise, il faudrait tout au moins qu’elle soit acceptée dans cette fonction par les Flamands. Certes, les récentes visites royales d’Albert II ne sont pas une preuve définitive, mais elles constituent un indice supplémentaire qui a valeur de sondage. Les quelque 400 partisans de Gand, un « flop » en termes de succès médiatique (une ville d’un peu plus de 255.000 habitants pourtant choisie à la place d’Anvers, considérée comme trop flamingante), s’opposent ainsi clairement aux « 2500 fervents supporter de la royauté » dans la petite ville d’Eupen (Le Soir, 19 juillet) et à la foule de quelques 6.000 participants à Liège.
En somme, l’opinion publique flamande se divise entre ceux qui ouvertement réclament l’indépendance de la Flandre (N-VA et Vlaams Belang) et ceux, fort nombreux, qui tout en souhaitant davantage d’autonomie pour leur région, sont manifestement indifférents à l’égard de la famille royale. Les supporteurs flamands de la royauté semblent aujourd’hui fort minoritaires.
Par ailleurs, si la monarchie est vraiment le dernier ciment de la Belgique, cela prouve alors que ce pays est une entité politique artificielle dans lequel la volonté de vivre ensemble ne mobilise guère les foules ; sauf du côté francophone.
On dit souvent que toute vérité n’est pas bonne à dire. Je crois au contraire que toute vérité est bonne à dire, même si elle dérange. Ne confondons pas démocratie et démagogie.
Et tant pis si en ce 21 juillet 2013, le R.W.F. court le risque d’être « vox clamantis in deserto », la voix de celui qui crie dans le désert. Les réunionistes, se basant sur des analyses sérieuses et impartiales, ont compris depuis longtemps que leur message, même minoritaire, est une réponse correcte, sans doute la meilleure, à la perspective de la fin plus ou moins proche de l’Etat belge.
L’idée ne relève plus de la politique-fiction. Le rattachement de la Wallonie à la France reste une option valable en cas d’éclatement de l’État belge.
Et en tout cas, n’est pas (ou n’est plus) le ciment de la Belgique.

Albert Barral

 Albert II, 20 ans de règne

L’éditorial de Béatrice Delvaux (Le Soir)