Tout le monde ne feint pas d’être aveugle…

L’hebdomadaire Le Vif ne doit pas sa survie aux généreux subsides de la Communauté française de Madame Laanan dont nous avons récemment apprécié le langage châtié et la vision politique d’une subtilité sans faille.
Il dépend essentiellement d’un groupe de presse flamand, ce qui lui laisse une certaine latitude pour montrer du doigt les dysfonctionnements de l’Etat belge et même de lui prédire une mort programmée par arrêt de l’arbitre De Wever.
Thomas Fiorilli, rédacteur en chef adjoint du Vif, a écrit un excellent article sur l’hystérie belgiciste qui sévit actuellement, non sans chauvinisme. Ci-dessous, vous en trouverez le passage principal.
Jean Quatremer quant à lui fait preuve d’un certain scepticisme à l’égard de l’euphorie béate du « Belge » mythifié qu’une certaine presse se plaît à entretenir.

[…] C’est la ruée sur les Diables. Qui peuvent désormais lancer des défis à la cantonade (« Repeignez tout en rouge », « Faites un maximum de bruit ») sans crainte de marquer contre leur camp : le stade était couleur sang contre les Pays-Bas et plus de 528 406 décibels ont été « produits » par les fans avant le match au Pays de Galles.

A leur échelon, nos équipes nationales de hockey, de basket, de rugby et de relais 4 x 400 mètres font elles aussi courir, sauter, hurler et s’enflammer nos foules. Comme les frères Borlée, Philippe Gilbert, Tom Boonen, David Goffin et chaque athlète, valide ou non, qui décroche une médaille aux Jeux olympiques. Autrement redit : pour l’instant, en Belgique, le sport est synonyme de toute grande fête. D’allégresse. Olé, olé, oléééé. Belgium forever !

Fondamentalement, pourquoi pas ? D’autant que le sport ciment national, le sport dopant identitaire, le sport antidépresseur, c’est vieux comme l’Antiquité.

Sauf que, là, il y a comme une impression de malaise. Parce que ceux qui prient nos dieux du stade ne symbolisent pas l’union nationale à laquelle certains se rattachent encore, entre fantasme, désespoir et amertume. Non, ils incarnent un anachronisme, un décalage, un aveuglement auquel on a rarement eu l’occasion d’assister en direct. Des centaines de milliers de Belges se mobilisent, passionnément, fiévreusement, en rêvant d’une qualification des Diables rouges et pour la prochaine Coupe du monde, au Brésil. Une Coupe du monde où ils réaliseraient des exploits, historiques. Une Coupe du monde qui se déroulera du 12 juin au 13 juillet 2014. Soit tout juste après « la mère de toutes les élections » : les législatives belges, sauf contre-ordre organisées le 8 juin 2014, en même temps que les régionales et les européennes. Ce scrutin crucial, historique, qui devrait placer Bart De Wever et la N-VA comme seuls interlocuteurs des francophones, si l’on en croit la plupart des experts et la progression irrésistible des nationalistes flamands dans les sondages, et dans les faits. Ce qui serait la phase terminale de la liquéfaction de la Belgique.

La flamme absolue pour l’équipe nationale brillant tant et plus, donc, en pleine marche forcée vers la fin du pays qu’elle représente. Plus que schizophrénique, cette réalité tient du cache-sexe, du cache-misère, de la botoxisation collective. Non pas pour gommer des rides. Mais pour masquer une tombe, chaque jour creusée plus profond.

En ce sens, les Diables rouges ne font donc que danser sur des ruines.