« Nationalisme wallon » : la parole à Paul-Henry Gendebien

Le Ministre président wallon Rudy Demotte a lancé un beau pavé dans la mare en évoquant un prétendu « nationalisme wallon ».
Les Médias ont évidemment donné la parole aux habituels observateurs. Un compilateur laborieux s’est même permis de dire que l’existence du R.W.F. était contre-productive parce son score électoral était faible.
Ce revuiste oublie un peu vite que le R.W.F. a permis la mise sur la place publique du projet positif qu’est le rattachement de la Wallonie à la France, ne fût-ce que par la publication de livres de fond de Paul-Heny Gendebien et les différentes campagnes électorales du parti.

Voici une carte blanche de Paul-Henry Gendebien sur la question wallonne :

Un Etat doit se fonder sur le socle d’un sentiment national

La plupart des Etats apparus sur la scène européenne depuis 1989 avaient déjà fait l’expérience de la souveraineté dans le passé. On songe à la Serbie ou aux trois pays baltes. D’autres s’étaient nourris d’un sentiment d’appartenance nationale sans disposer des attributs de l’indépendance. C’est le cas de la Slovénie. Les exceptions à la règle la confirment : la Bosnie, sous perfusion et sous tutelle de la communauté internationale, ne donne pas la preuve du minimum de cohésion indispensable à sa survie. Quant au chétif Kosovo, il pourrait bien tomber un jour dans les bras de l’Albanie.
Une entité wallo-bruxienne issue du démembrement de la Belgique ne s’appuierait pas sur une conscience nationale digne de ce nom. Cet Etat ne serait que l’enfant tardif et imprévu – un tardillon – mis au monde à la suite d’une fragmentation non désirée par les Wallons et les Bruxellois.

On l’a déjà indiqué : ce n’est pas du mépris ou de l’ignorance que de noter l’inexistence d’une nation wallonne et encore moins d’une nation bruxelloise. Pas plus qu’il n’y eut jamais de véritable nation belge, ainsi que le pensait Léopold ler en personne. Dans une lettre de 1859 à son secrétaire Van Praet, le premier Roi des Belges se permettait d’écrire : « La Belgique n’a pas de nationalité et, vu le caractère de ses habitants, n’en aura jamais. » Et Albert 1er, en 1912, estimait en privé que Jules Destrée avait raison de dire qu’il n’y a pas de Belges, mais seulement des Wallons et des Flamands.

Un nouvel Etat qui ne serait que le sous-produit d’une non nation ne deviendra pas lui-même une nation. Pour qu’il en soit ainsi, un Wallo-Brux devrait associer des réalités objectives (une population, un territoire, des ressources) à une dimension morale et affective : la volonté d’un groupe humain soudé par une mémoire interprétative du passé et par une vision dynamique de l’avenir. Où sont ces réalités et cette volonté ? Comment un Etat nation consistant et structuré pourrait-il éclore, comme par enchantement, de deux régions qui n’ont même pas la capacité de se donner une identité commune et un nom de famille incontesté ? Il faut savoir que la dénomination de l’éventuel futur Etat pourrait être problématique : le droit international est incertain et ne garantit pas une reprise automatique de l’étiquette « Belgique ». On imagine sans peine la chamaille et le charivari déclenchés par nos élus quand ils seront confrontés au choix d’une appellation : Royaume fédéral de Wallonie-Bruxelles, Fédération romane de Belgique, Nouvelle Belgique, République libre de Wallonie-Bruxelles…
A l’heure présente, une majorité de Bruxellois ne veut pas entendre parler de l’État indépendant de Wallonie-Bruxelles, ce qui en dit long sur l’échec de la Communauté française.
Faire de celle-ci la matrice improbable d’un Etat hybride serait une erreur.

Ernest Renan l’avait fait savoir : la nation ne va pas sans un plébiscite quotidien des citoyens. Un pays ne peut pas se construire sans le soutien d’une puissante envie collective. L’Etat wallo-bruxien n’aurait que le goût d’un regret ou d’un moindre mal : ce serait un Etat mort-né.

Le « Wallo-Brux » ne serait pas une société politique structurée, apte à produire un projet social commun.

A la bataille de Valmy en 1792, le cri des pauvres et simples soldats de l’armée française – « Vive la nation ! » – ne signifiait pas autre chose que « Vive le peuple uni ! », uni au nom de la liberté et des libertés, de l’égalité et de la fraternité, des droits et des devoirs du citoyen. Les européistes post-nationaux d’aujourd’hui se considèrent peut-être comme des idéalistes mais ils se trompent d’objectifs et de méthodes car ils veulent abaisser les Etats nations en leur substituant une bureaucratie. Ils n’ont pas encore voulu comprendre que l’État n’est pas en soi l’étatisme et que la nation ne conduit pas a priori au nationalisme. Selon Jaurès, la nation est le bien de ceux qui n’ont rien. En ce sens, l’Etat nation n’est pas une obscénité. Il ne l’est pas quand il procure le cadre et les racines d’une démocratie vivante. Jusqu’à preuve du contraire qui sera peut-être fournie dans un autre espace-temps, c’est encore et toujours à ce niveau-là qu’une société politique peut s’épanouir et inventer un projet collectif. Une même définition peut s’appliquer à l’idée de nation et à celle de démocratie : la rencontre d’un héritage et d’une projection dans l’avenir noués par le désir de vivre ensemble.

A vrai dire on distingue mal dans l’entité Wallonie-Bruxelles une société politique structurée qui s’enrichirait des apports d’une société civile autonome. Ici, la société civile ne paraît pas – ou trop peu – distante par rapport au pouvoir. Au cours des dernières décennies, en même temps qu’elle redevenait plus belge que wallonne, comme l’indiquent toutes les enquêtes d’opinion, la Wallonie sembla avoir acquis une deuxième nature qui n’était pas innée : se soumettre à la protection douce et dominatrice d’un pouvoir englobant, qu’il soit communal, provincial, régional ou fédéral. On ne parle pas de l’efficacité ou de la légitimité des institutions. On fait allusion à l’omniprésence d’un encadrement voulu par le régime des partis. La population s’en est accommodée. Infiltré dans les institutions, le pouvoir partisan est devenu la divinité centrale de la société, une sorte d’idole hindoue dotée d’une grosse tête et de quatre bras, ceux des quatre « grands » partis ainsi qu’ils se qualifient eux-mêmes.

Le conditionnement insidieux de la population et en particulier du monde associatif a été facilité par la distribution de la manne des subventions, un système et une culture. Système et culture qui constituent l’un des facteurs de blocages de la société. Ils entretiennent la dépendance du corps social dans son interface avec une superstructure politique envahissante. C’est une des maladies graves de la démocratie wallonne. Le mécanisme de la subvention, quand il se généralise, fait de celle-ci à la fois la mère et la fille de la particratie. En conséquence, le citoyen-homme de la rue est soumis à un processus de mutation de l’espèce qui l’oriente vers le statut de client. Les générations précédentes avaient vécu dans une Wallonie qui fut davantage un lieu de citoyenneté active, de participation militante aux affaires de l’Etat ou de l’entreprise, sans que les individus abdiquent pour autant leur indépendance.

Pour ne pas sombrer dans l’anesthésiante routine de l’ « à quoi bon ? », un peuple démocratique a besoin d’une insurrection permanente de l’esprit public. A écouter les débats télévisés, à lire les manchettes de tel quotidien, on saisit mieux pourquoi se développe une assuétude conformiste et résignée à l’ordre des choses. Un ordre cadenassé par la triple complicité des partis, des médias, de la royauté.

Comment constituer demain un Etat moderne au départ d’une société wallonne et bruxelloise à ce point intoxiquée par la (non)pensée correcte ? Comment croire pour l’avenir à une démocratie vivante alors que nos deux régions ne parviennent pas à faire naître un dialogue adulte.
Ceux qui échafaudent avec enthousiasme un futur Etat Wallonie-Bruxelles feraient mieux d’y réfléchir à deux fois : quel serait leur grand projet de société, au-delà d’une vague religion du progrès augmentée d’un multiculturalisme communautariste de convenance et mal compris ? Pourquoi ce culte du non Etat ? Pourquoi cet abandon de la laïcité au profit d’un relativisme complaisant ? Pourquoi tous ces applaudissements parlementaires quand une députée musulmane du parti CDH, liée à l’intégrisme turc, prête serment avec le voile ? Pourquoi ce silence gêné quand on annonce que près de 10.000 excisions se pratiquent chaque année en Belgique ? Comment intégrer les éléments marginalisés de la population immigrée ? Comment combler les nouvelles inégalités nées de la crise et de certaines conséquences de la mondialisation dite « heureuse » ? Comment reconstruire l’école ? Comment arrêter le démantèlement déjà entamé de nos services publics imposé par la libéralisation européenne avec le consentement de tous les gouvernements depuis vingt ans ?

L’annonce audacieuse et tonitruante de M. Di Rupo est encore dans les mémoires.
« Oui, nous avons un « plan B » : garder la Belgique en créant l’État Wallonie-Bruxelles ! » Voilà une affirmation qui appelle immédiatement une question boomerang : « Quelle Belgique voulez-vous continuer et reproduire et pour quel projet ? » La réponse risque de se faire attendre.
Le parti de M. Di Rupo occupe – c’est le mot – le pouvoir depuis 23 ans et il n’est pas encore prêt à prendre en charge l’avenir des Wallons et des Bruxellois. Une petite Belgique serait un copié-collé des dysfonctionnements de l’ancienne. Elle serait une construction politique arbitraire qui n’engendrerait ni un véritable Etat ni un nouveau modèle de société. Le Wallo-Brux est bel et bien une illusion aux apparences plaisantes mais divulguée imprudemment, dans l’improvisation et dans la méconnaissance des obstacles qui se dresseront sur son chemin.