En mai 2008, P.-H. Gendebien annonce l'impasse actuelle - 12 septembre 2010

Réforme de l'État ou pas, peu importe, le fédéralisme belge est et restera un échec historique. Et ceci, en dépit de la loyauté wallonne et bruxelloise. Dans la course de vitesse désespérée qui oppose le trop lent redressement économique de la Wallonie et l'impatience trop nerveuse de la Flandre, c'est celle-ci qui a toutes les chances de l'emporter.

En politique, c'est un grand tort d'avoir raison trop tôt, proclamait l'ancien président du Conseil (Premier ministre) Edgard Faure. Eh bien, si c'est vrai — ce qui reste à démontrer —, alors nous préférons avoir ce tort-là plutôt que de nous taire et cacher la vérité à l'opinion publique. Car notre population mérite la clarté et la vérité. Elle a droit à un grand projet mobilisateur — l'adhésion à la France et à la République. La France parce qu'elle est notre maison commune, la République parce qu'elle parachève la démocratie et constitue le socle de l'État. C'est en tout cas une vraie solution de rechange au dramatique désastre collectif dans lequel nous sombrons depuis plusieurs décennies.

La Flandre : un nationalisme également économique

Plus personne n'oserait le nier : la Flandre veut acquérir les instruments qui lui permettraient de préserver sa prospérité économique et sociale et de combattre chez elle, avec des pouvoirs flamands et des finances flamandes, les conséquences particulièrement nocives de la mondialisation. De Courtrai à Anvers, de Bruges à Hasselt, un nationalisme économique est venu se superposer, avec l'aide du patronat, au vieux combat pour l'homogénéité linguistique de la nation flamande. Combat aujourd'hui proche de son aboutissement grâce à l'épuration culturelle programmée à l'encontre de la langue française. Nous assistons ici même, y compris dans le chef de M. Verhofstadt et de son parti, à la négation de l'existence d'une minorité francophone en territoire flamand. Apparaît encore une autre menace, considérable et lourde de conséquences catastrophiques si elle se concrétisait, à savoir l'ambition flamande de séparer politiquement et pas seulement physiquement Bruxelles de la Wallonie.

L'heure de tous les périls approche pour les Wallons et les Bruxellois. Au lieu de se préparer à les affronter, la junte des dirigeants francophones s'abandonne à l'irresponsabilité en se complaisant dans la discorde, les rivalités d'intérêts partisans et pouvoiristes, l'absence de stratégie et de vision. Agrippés à l'illusion d'un mythe belgiciste, ils donnent l'image de naufragés sur un radeau de la Méduse. Ils sont inconscients de leurs fautes, de leurs imprévoyances, des dangers qui s'annoncent. Pourtant, le moment n'est-il pas venu, pour les Francophones, de renoncer une fois pour toutes à ces postures de culpabilité défaitiste, de mendicité repentante, de soumission collective ?

Cessons de penser et d'agir comme si tout était perdu et comme si, conformément à la dialectique du maître et de l'esclave, nous étions contraints, pour exister à nos propres yeux, d'accepter un statut quasi colonial jusqu'à la fin des temps.

Dans la vie d'un peuple, il n'est aucune fatalité à sens unique qui serait inscrite dans les astres. On peut choisir son avenir et non le subir. Une autre vie est possible pour la Wallonie et pour Bruxelles dans l'après-Belgique.

Le confédéralisme financera le séparatisme flamand

Notre urgence, c'est de ne plus financer le séparatisme flamand via les caisses fédérales belges, et sous couvert de pseudo-confédéralisme. Notre urgence, c'est de nous préparer à négocier le divorce belge à l'amiable, et non point un énième dépeçage de ce qui tient encore lieu d'État belge. Notre urgence, tout aussi absolue, est de réaffirmer le lien politique, culturel, économique et territorial entre Bruxelles et la Wallonie.

Le salut public exige aussi que nous tordions définitivement le cou à l'idée d'une immersion belgo-flamande imposée à nos écoles par une Communauté française décidément déboussolée. S'il est une immersion à laquelle il faudrait songer, c'est à la seule qui vaille, c'est-à-dire notre immersion dans la République française. Ici serait possible, et ici seulement, une communauté de destin entre Wallonie et Bruxelles dans le cadre de deux régions fortes inscrites dans la République, avec des dispositions particulières et, le cas échéant, transitoires, et dans le respect de nos personnalités respectives. Naturellement, des référendums démocratiques, sous contrôle européen, devraient permettre de fixer les frontières nouvelles, notamment dans les communes de la périphérie bruxelloise. Des consultations populaires plus globales, organisées séparément en régions wallonne et bruxelloise donneraient aux citoyens l'occasion de se prononcer.

Il va de soi que le règlement final de la crise belge postulera son internationalisation. Une internationalisation nécessaire, et prévisible, qui permettrait de conjurer le risque d'un désordre politique prolongé, au coeur même de l'Europe. De toute évidence, internationalisation signifie à nos yeux qu'un rôle prépondérant et déterminant sera réservé à la France, parallèlement aux éventuels bons offices de l'Europe. Aujourd'hui, nous ne souhaitons pas que la République se départisse de ses devoirs de réserve et de non-ingérence. Nous lui demandons seulement de se préparer à agir le moment venu.

Le Wallo-Brux est une chimère

Les derniers illusionnistes de l'indépendantisme me reprocheront de négliger l'hypothèse du « Wallo-Brux ». Celui-ci serait une Belgique résiduelle se prolongeant et survivant après le départ de la Flandre.

Les partisans de cet État indépendant « Wallonie-Bruxelles » se querellent déjà sur son nom, sa forme fédérale ou unitaire, son régime politique et constitutionnel, son hymne, son drapeau, sa ou ses capitales... Perspective inespérée et exaltante pour certains, il s'agirait de la perpétuation de la Belgique dans l'au-delà, d'une résurrection miraculeuse, post mortem, de la patrie. Par une prodigieuse générosité du destin, la Belgique, amputée sans doute, mais toujours vivante, resurgirait du tombeau.

Par excellence, un pareil clonage institutionnel serait une fausse bonne idée. Parfaitement utopique, car elle ne reposerait sur aucun ciment national solide, car elle ne se fonderait pas sur un projet politique cohérent, ni sur des finances publiques susceptibles de supporter les charges d'une protection sociale ambitieuse et d'une dette publique élevée... Au contraire, le déficit des caisses publiques de cet État serait tel que le niveau des prestations de la sécurité sociale s'abaisserait de vingt pour cent au moins si l'on en croit les calculs d'économistes wallons sérieux.

Les émigrés de l'intérieur que sont les belgo-monarchistes d'aujourd'hui trouveraient sans doute dans ce mini État une revanche tardive. Mais cet Eldorado reconstitué ne serait que le refuge illusoire de toutes leurs nostalgies. Le paradoxe serait qu'il soit le fruit d''une alliance sacrée entre une bourgeoisie libérale bruxelloise en perte de vitesse et une nomenclature socialiste wallonne aussi archaïque que royaliste.

Ceux qui dès maintenant caressent ce rêve d'une petite Belgique continuée, délestée de la Flandre, investissent de grandes espérances dans les futurs services que pourrait rendre à leur cause la famille Saxe-Cobourg. On couronnerait l'un de ses nombreux héritiers, promu roitelet de Wallonie-Bruxelles.

Qu'on se rassure, ce nouvel « État-confetti » s'abîmerait bien vite dans l'indigence et l'impécuniosité, sauf à faire payer très cher et très vilain les allocataires sociaux. Ceux-ci seraient bientôt réduits à la portion sociale congrue, c'est eux qui subiraient en fin de compte le coût des fantasmes belgicistes et monarchistes et les complexes anti-français d'une oligarchie habile à se répartir les apparences du pouvoir. Quant aux mauvaises manières apprises sous l'ancien régime fédéral — confusion entre les partis et l'État, indélicatesses dans la gestion, abdication de l'autorité publique —, elles connaîtraient une nouvelle prospérité.

Bref, c'est le peuple qui aurait à supporter les frais de ce Royaume bananier ou, si l'on préfère, de cette république fromagère.

On l'a compris : le royaume wallo-bruxien ne serait pas seulement misérable et brouillon, il pourrait être ridicule. On aurait affaire à un État « petit-belge ». On devine aisément quelles images caricaturales en seraient répandues à travers l'univers.

Merci, nous avons déjà donné !

Extrait de Wallons et Bruxellois avec la France (Cortext, mai 2008)


© R.W.F. Dernière mise à jour le dimanche 12 septembre 2010 - Ce site est le seul officiel du R.W.F.