Belgique : "Vends monarchie avec roi, cour et séparatistes" - 12 février 2010

Par Elena Chesternina, pour le journal russe Kommersant

L'un des bons quotidiens moscovites, des informations sur tous les sujets, avec une dominante économique, des articles souvent plus courts et plus percutants que ceux de ses confrères. Le groupe Kommersant publie, entre autres, l'hebdomadaire Vlast.

Kommersant est un quotidien qui fut d'abord hebdomadaire à sa création, en 1990. Il se voulait un "journal à l'occidentale", tant sur le fond que sur la forme ; il s'est même appelé durant un temps Kommersant-Daily. Il a exercé une certaine influence sur le journalisme en Russie et a formé beaucoup de jeunes professionnels, qui travaillent aujourd'hui dans d'autres journaux.
Jusqu’en février 2006, il a appartenu à Boris Berezovski, l’oligarque déchu et en exil au Royaume-Uni. Après un bref changement de propriétaire, le journal a été racheté fin août 2006 par Alicher Ousmanov, un magnat de la métallurgie et PDG de GazpromInvestHolding, une filiale du géant russe Gazprom.

Plus de six mois sans gouvernement. Ce record a été établi par la Belgique en devançant considérablement un autre pays, dont le pouvoir exécutif essaie pour la deuxième fois de former le gouvernement: l'Ukraine. Les raisons de cet état de choses sont analogues: dans les deux cas, il s'agit en fait de la division des Etats en deux parties. Mais si en Ukraine on parle de division éventuelle en Est et en Ouest, elle reste encore théorique, alors que la même "théorie" en Belgique prend une forme assez réaliste.

La Belgique a déjà surmonté depuis longtemps son précédent record des années 1987-1988, lorsqu'elle avait vécu 148 jours sans gouvernement. A présent, le cabinet n'a toujours pas été formé depuis le 10 juin, jour des dernières élections législatives. Yves Leterme, candidat au poste de premier ministre, leader des chrétiens-démocrates flamands, a tenté par deux fois d'y parvenir, mais en vain. Durant des mois de négociations, les partis flamands et wallons n'ont pas réussi à s'entendre. La pierre d'achoppement a été la proposition de M. Leterme d'accorder une plus grande autonomie aux régions belges qui, selon le premier ministre manqué, devraient avoir la possibilité de régler elles-mêmes les problèmes vitaux de leur existence. En pratique, cela transformerait la Belgique en une confédération de trois régions: la Flandre, la Wallonie et la région de Bruxelles-Capitale.

Ne réussissant pas à clore le problème de la formation du gouvernement, M. Leterme a demandé au roi Albert II de le débarrasser de cette "mission honorifique". Le monarque a satisfait son souhait et chargé le chef du cabinet sortant Guy Verhofstadt de démêler l'écheveau des contradictions politiques. Néanmoins, rien ne garantit qu'il le fera plus vite.

Dans le pays, on parle de plus en plus souvent de la possibilité de nouvelles élections, mais il est peu probable qu'elles modifient radicalement la situation: les résultats seraient probablement analogues. Bien plus, comme le prédisent les experts politiques les plus pessimistes, si cette situation persiste, l'Etat pourrait être amené à être divisé en deux parties: la Wallonie francophone et la Flandre néerlandophone.

Ironie du sort: le pays où siègent presque toutes les institutions de l'Europe unie pourrait cesser d'exister!

Bien entendu, personne ne peut prévoir quand le "divorce" aura lieu. Mais les Belges n'excluent pas cette éventualité, ce dont témoignent les sondages d'opinion. Selon un sondage réalisé par la chaîne de télévision VRT, 66% des habitants de la Flandre et 47% des habitants de la Wallonie jugent que la division de la Belgique est possible. Il est à noter que 46% des Flamands estiment que cette division serait utile.

Cette position peut facilement s'expliquer: la Flandre, qui compte environ 60% de la population du pays et est bien plus développée sur le plan économique, "nourrit" effectivement la Wallonie plus pauvre, dont les indices économiques sont plus bas et le chômage plus important.

Mais, paradoxalement, la Wallonie ne manque pas non plus de séparatistes. "La seule issue, pour nous, est de nous séparer de la Belgique et de nous joindre à la France", estime Laurent Brogniet, secrétaire général du groupement politique Rassemblement Wallonie-France (RWF). A son avis, Paris respectera davantage la Wallonie que les Flamands, aux yeux de qui elle n'est qu'une sœur cadette.

Les hommes politiques flamands ne cachent même pas leur mépris: selon le premier ministre manqué Yves Leterme, les Wallons sont si sots qu'ils n'arrivent même pas à apprendre le néerlandais.

Les nationalistes flamands avancent les arguments suivants: Nous n'avons rien en commun, mis à part le roi, l'équipe de football et la bière. Mais ils ne se sont pas bornés à de simples déclarations menaçantes, ils sont passés à des actes concrets: ainsi, le parti nationaliste d'extrême-droite "l'Intérêt flamand" a proposé aux parlementaires d'engager des débats sur la division de l'Etat belge. Les députés représentant la Flandre ont soutenu la loi lésant considérablement le droit de vote des habitants francophones des environs de Bruxelles.

Les députés francophones ont qualifié ces actes de "déclaration de guerre" et rédigé une pétition invitant à préserver l'intégrité territoriale du pays, qui a été signée par 150.000 habitants. Des actions de protestation massives se sont déroulées à Bruxelles. Dans la capitale, la menace de division suscite la réaction la plus douloureuse, car la ville, dont la majorité des habitants considèrent le français comme leur langue maternelle, est située sur le territoire de la Flandre "hostile". De nombreux drapeaux noir-jaune-rouge sont apparus dans les rues. Les Bruxellois les hissent sur leurs balcons pour manifester leur soutien à la conservation de l'intégrité du royaume.

Mais les altercations politiques et les protestations de rue ne sont rien par rapport au choc que les Belges ont subi il y a un an, lorsque la chaîne de télévision RTBF avait décidé de prévoir les conséquences réelles de la division du pays. Les journalistes n'avaient rien trouvé de mieux que d'annoncer en direct que c'était déjà un fait accompli. Selon l'information sensationnelle des actualités, le parlement de la Flandre avait voté pour l'indépendance. Les spectateurs avaient été tellement stupéfiés qu'ils n'avaient pas remarqué l'inscription en bas de l'écran indiquant que c'était une plaisanterie.

Ces derniers temps, les Belges plaisantent beaucoup au sujet d'une éventuelle division. C'est la seule chose qu'il leur reste à faire, puisque les hommes politiques n'arrivent pas à s'entendre. Ainsi, Gerrit Six, ancien journaliste belge, a mis en vente son pays avec le roi, sa cour et sa dette nationale sur le site en ligne eBay.be. Plaisanterie mise à part, la somme des enchères a atteint 14 millions d'euros.


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