Jean Quatremer (Libération) : la Flandre tentée par le grand large - 9 juin 2009

La Belgique est plus que jamais divisée entre la Flandre néerlandophone, d’une part, Bruxelles et la Wallonie, tous deux francophones, d’autres part. De Standaard, le quotidien flamand de référence, n’hésite pas à parler, dans son éditorial d’hier, de l’émergence de « deux pays » dans un seul Royaume à la suite des élections régionales de dimanche.

Ce scrutin, qui a totalement éclipsé les élections européennes, a, en effet, accentué le virage droitier et autonomiste — si ce n’est indépendantiste — de la riche Flandre, tandis que la Wallonie et la région de Bruxelles capitale ont confirmé leur ancrage à gauche (désormais avec une forte touche de vert) et leur attachement à la Belgique unie. Même s’il ne s’agit que d’un scrutin régional, il va néanmoins fortement peser sur l’avenir d’un pays largement fédéralisé (70 % du budget est redistribué aux Régions): la Flandre va se sentir plus que jamais légitimée pour exiger un détricotage supplémentaire de l’État central à son profit, ce que refusent les Francophones.

Ainsi, les partis favorables à l’indépendance de la Flandre (60 % des habitants de la Belgique) représentent désormais 36 % des électeurs néerlandophones. La NV-A, qui électoralement pesait peu jusqu’à présent (elle se présentait prudemment en cartel avec les chrétiens-démocrates du CD& V), obtient 13,1 % des voix, une percée remarquable. Son chef, Bart De Wever, invité à commenter les résultats en Wallonie, a répondu qu’il ne « s’intéressait pas à la situation d’un pays étranger »… Il veut profiter de son succès pour « développer davantage l’esprit offensif flamand » et a de nouveau accusé les Francophones de continuer « à tirer sur une tétine fédérale tarie. Nous en avons assez, plus une seule goutte ». Il pourra compter sur le soutien de la liste Dedecker (LDD), tout aussi indépendantiste et qui n’existait pas lors des régionales de 2004 : ce parti dirigé par un ancien judoka venu du parti libéral (Open VLD), Jean-Marie Dedecker, s’installe dans le paysage flamand avec 7,7 %. Enfin, le Vlaams Belang, parti indépendantiste, mais aussi d’extrême droite, à la différence de la NV-A et de la LDD, est en perte de vitesse, même s’il reste le second parti de Flandre, à 15,3 % (il perd 9 points).

Ce dernier est victime de son succès : ses idées et son slogan (« Belgique crève ») ont largement contaminé l’ensemble des partis flamands, bien au-delà de la NV-A et de la LDD. Ainsi, le parti chrétien-démocrate flamand (CD&V), celui de l’actuel premier ministre, Herman van Rompuy, qui arrive en tête avec 23 % des voix, est favorable à un « fédéralisme évolutif » destiné à réduire l’État central à peu de chose. Le parti libéral, l’Open VLD, autre grand perdant de ce scrutin avec le Vlaams Belang (15 %, soit 5 points de moins qu’en 2004), est sur la même longueur d'onde : ce n’est pas un hasard si le ministre de l’intérieur flamand, le libéral Marino Keulen, est à la pointe du combat contre les droits linguistiques dont bénéficient les Francophones de la périphérie bruxelloise vivant en Flandre… Dans ce paysage radicalisé, la gauche est en voie de disparition : les socialistes font à peine 15 % et les Verts 6,5 %, soit 21,5 % à eux deux...

La situation politique en Wallonie est à l’exact opposé : le parti socialiste, pourtant éclaboussé par des scandales financiers à répétition, montre qu’il dispose d’une clientèle fidèle. Il parvient, avec 33 % des voix à demeurer le premier parti de cette région francophone même s’il perd près de 4 points par rapport à 2004. Les Libéraux du MR, qui espéraient s’emparer de cette première place, en sont pour leurs frais : 23,5 %, en recul d’un point. Si le centre du CDH se maintient à 16,5 %, les grands vainqueurs de ce scrutin sont incontestablement les verts d’Ecolo, avec 18,5 % (+ 10 points). Le Front national, lui, est quasiment rayé de la carte (2,7 %). À Bruxelles, en revanche, le PS perd sa première place (23 %, en recul de 6 points) au profit des libéraux du MR (26,5 %, stable). Là aussi, les grands vainqueurs sont les Verts, avec 18 % des voix. Au final, côté francophone, la gauche et le centre gauche restent nettement dominants (à 70 %). Surtout, la percée des verts est emblématique de l’attachement des Francophones à la Belgique, ce parti étant le seul à continuer à siéger dans le même groupe que son homologue flamand Groen ! (6,5 % des  voix seulement) au Parlement fédéral et à refuser la logique de l’affrontement communautaire…

Quelles vont être les conséquences de ce divorce politique ? Il est clair que la « réforme de l’État », un euphémisme flamand signifiant un déshabillage de l’État fédéral au profit des régions, va revenir au premier plan de l’agenda politique. Elio di Rupo, le patron du PS, a d’ailleurs évoqué « la radicalisation attendue » des Flamands. Le quotidien De Standaard  confirme que « ceux qui plaident pour une réforme de l’État plus approfondie ont reçu un mandat de l’électeur ».

Photo : couverture du Knack du 10 juin ("Ceci est notre pays : La Flandre en action")

Le blogue de Jean Quatremer : une analyse lucide de la Question belge


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