Bart et Frank main dans la main - 14 juin 2009

Paul Goossens, ancien journaliste des quotidiens flamands Standaard et De Morgen, évoque dans Le Soir  du 12 juin la nouvelle donne en Flandre.

Les résultats des élections peuvent surprendre, les campagnes électorales en font tout autant. Les questions, qui ne sont pas sans importance, de savoir comment sera comblé le déficit budgétaire et qui doit supporter le poids de la dette de plusieurs milliards sont à peine entrées en ligne de compte durant cette campagne. Du moins pas en Flandre.

Comme si la conjoncture était encore totalement favorable, ce sont surtout des promesses qui ont été faites. En première instance, par les libéraux flamands. Ils exhibèrent même une multiplication par deux de la fameuse prime à l’emploi et (pour démontrer que c’était du sérieux) ajoutèrent que l’on était vraiment proche d’un point de rupture. Cela n’a pas convaincu l’électeur : l’Open VLD a pris une raclée. Dans les faits, il n’y eut, en Flandre, que deux partis qui se servirent explicitement du déficit budgétaire dans leur discours de campagne. Le CD&V insista sur le fait qu’il n’y aurait guère de place pour les cadeaux dans les premières années. La N-VA le formula autrement. « Afrit Vlaanderen, uitrit crisis » (Sortie Flandre, sortie de crise), scanda le slogan aussi erroné que démagogique du parti de Bart De Wever. Tant le CD&V que la N-VA ont triomphé le 7 juin…

C’est surtout le score de la N-VA qui a étonné. Un mini-parti d’à peine 5 % qui atteint d’un coup les 13 %, c’est assez inhabituel. De Wever y est pour beaucoup. Ces derniers mois, il n’y avait pas moyen de l’éviter dans les médias. Il était le chouchou de la radio et de la télévision, parce que s’exprimant avec aisance, spirituel et incisif. Avec son humour pince-sans-rire et sarcastique, il est même devenu une star du programme de la VRT « De slimste mens », fort de plus d’un million de téléspectateurs par soirée. Pur divertissement. Mais De Wever brilla et devint, entre autre grâce aux médias, énormément populaire. Le politicien entreprit une métamorphose et se révéla comme un agréable causeur, qui pouvait aussi mettre les rieurs de son côté. Cela devint l’adjuvant rêvé pour augmenter l’impact de son discours politique. Malgré la crise, comme le prêcha De Wever, la Flandre pouvait à l’avenir consacrer plus d’argent aux allocations familiales et à l’assurance hospitalisation. Raison pour laquelle il fallait assécher l’État fédéral ou le placer sous curatelle. Durant le dernier débat électoral, il expliqua encore que plus un euro flamand n’irait au sud. Cela s’appelle, déclara De Wever, la politique assertive flamande.

Le message est passé, car la N-VA a atteint plus d’un demi-million de voix. Et De Wever démontra à nouveau qu’il est un commercial aussi talentueux que cynique. Il affirme comme une évidence que la Flandre peut se sortir sans mal de la crise et que de petits extras sont même possibles. À une seule condition : il faut raboter les ailes de l’État fédéral et l’assainir jusqu’à la moelle. De cette façon, De Wever espère mettre les francophones tellement à mal qu’ils aspireront eux-mêmes à une réforme de l’État. Ce n’est évidemment pas explicite, mais par moments, c’est comme s’il fallait affamer la Belgique francophone. C’est ainsi qu’elle viendrait à la table des négociations.

Avec son discours, De Wever n’a pas seulement réussi à élargir sa base électorale de manière spectaculaire, mais aussi à dominer complètement le débat politique. Les derniers jours de la campagne électorale flamande furent totalement teintés de communautaire. À peu près tous les partis trouvèrent indispensable de se positionner par rapport à la nouvelle stratégie de De Wever. Dimanche soir, il n’y avait plus qu’un seul thème qui retenait l’attention des présidents de parti flamands : la réforme de l’État. À l’exception des écologistes, chacun s’accordait sur le fait que la Flandre devait développer au maximum ses compétences. « Il est maintenant très clair, déclara encore De Wever, que nous devons oser dessiner aussi au-delà des contours. Nous devons commencer à nous pencher sur la sécurité sociale flamande. » Personne ne lui objecta que la Belgique est un État de droit et que le respect des accords constitutionnels était par conséquent souhaité.

« The day after », et encore en pleine euphorie de la victoire, De Wever y allait encore plus fort… Il fit alors face au vent contraire des partis traditionnels. Moins sur le fond que sur la forme. La présidente du CD&V Marianne Thyssen disait d’une voix haute que le langage rude ne lui plaisait pas du tout et il était manifeste qu’elle en était très attristée. Que les différences en matière de contenu entre De Wever et les partis traditionnels ne sont pas vraiment insurmontables, la figure de proue du SP.A, Frank Vandenbroucke, vice-premier démissionnaire du gouvernement flamand, l’a expliqué le lendemain. « Lorsque j’entends De Wever ces dernières semaines, c’est comme si je m’entendais moi-même parler. Nous plaidons depuis des années pour une réforme sociale de l’État ». Vandenbroucke affirmait en sus qu’il n’avait pas attendu les propositions de De Wever pour prendre des initiatives en ce sens. Lorsque même la gauche flamande, au moins une partie de celle-ci, s’accorde sur un point aussi primordial avec la N-VA séparatiste, c’est une indication de la manière dont les mentalités ont évolué en Flandre. La conviction est maintenant générale que la Belgique actuelle ne fonctionne plus et que la réforme est une nécessité. Les Belgicistes, qu’ils soient néos ou rétros, y sont encore à peine entendus. Dans chaque débat, on leur cloue le bec avec la simple remarque que « la Belgique ne fonctionne plus ».

L’expression « bonne gouvernance » est rapidement devenue, en l’espace de quelques mois, synonyme de plus d’autonomie pour la Flandre. Le seul fait que cette campagne et les résultats électoraux ravivent à nouveau la discussion communautaire et amènent les partis flamands à exiger plus d’autonomie, ne présage rien de bon.

Le politologue louvaniste Bart Maddens, qui a inspiré la stratégie flamande « assertive » de De Wever, soulignait mercredi dans le Standaard l’« irrésistible marche en avant du nationalisme flamand ». Il rappelait que le Belang et la N-VA totalisent ensemble 28,4 % des suffrages. Si l’on tient compte des 7,6 % de la Liste De Decker et des 1,1 % des Progressistes socio-libéraux (Sociaal-Liberale Progressieven, SLP), les partis flamingants atteignent 37,1 %. Un score monstrueux, du jamais vu dans l’histoire de la Belgique. Lorsqu ’elle était à son top niveau, la Volksunie n’atteignait même pas la moitié de ce chiffre. Bien sûr, les partis traditionnels se démarquent encore des nationalistes flamands quant au but poursuivi. Ils conservent leur croyance en une Belgique fédérale ou confédérale et s’opposent encore au séparatisme. Mais la question – réelle – est de savoir si cela va plus loin qu’une discussion sémantique… quand même le SP.A demande une réforme sociale de l’État et veut bricoler à la pièce maîtresse fédérale par excellence, la Sécurité sociale.

Reste qu’il y a encore dans le front flamand une divergence d’opinion fondamentale : Bruxelles.

(Traduit du néerlandais par Fabienne Tréfois)

Bart Maddens, politologue à la KUL (Leuven), le concepteur de la stratégie de « l’assertivité », souhaite que la Flandre utilise largement ses compétences, même en contournant la Constitution, recoure le plus souvent à la procédure du conflit d’intérêts (comme ce fut le cas lors du dernier accord interprofessionnel) et renfloue le moins possible les caisses de l’Etat fédéral, etc.

Pour le politologue, il devient évident, jour après jour, que la Belgique ne dispose plus des instruments politiques et financiers pour mener une puissante politique de relance. Une très profonde réforme de l’Etat s’avère plus que jamais nécessaire. "Mais les francophones ont opté pour la stratégie du « pourrissement » et c’est ainsi.
Arrêtons dès lors d’être la partie demanderesse", ajoute-t-il.
"Regardons en toute quiétude comment le gouvernement fédéral, privé d’une majorité flamande, va continuer à s’enliser. Soit les francophones imploreront eux-mêmes une nouvelle réforme de l’Etat, soit le système belge implosera. Dans les deux hypothèses, les Flamands seront victorieux."

Bart Maddens, invité de TerZake (néerlandais)

Rappelons que les partis qui jouent résolument la carte flamande (Vlaams Belang, N-VA, Lijst Dedecker et SLP) atteignent ensemble 37 % des voix.

Le VVB (mouvement flamand) a calculé comme suit la proportion des partisans d’une Flandre indépendante ou largement autonome au sein du CD&V qui a obtenu 22,86 % des voix : 50,3 (2004) à  55,1 (2007) jusqu’à 58,9 aujourd’hui.


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