Le "pipole", arme secrète des partis - 28 avril 2009

Article de Jean-Pierre Stroobants publié dans Le Monde du 27 avril

En Italie, Silvio Berlusconi a placé sur la liste européenne de son parti une ex-reine de beauté, mannequin-phare d'une marque de lingerie, actrice de soaps télévisés et ancienne candidate d'un Big Brother version transalpine.

En Belgique, il manque peut-être les top-modèles en guêpière, mais les "BV" et les "FC", apparus il y a quelques années, sont légion sur toutes les listes, de gauche comme de droite, qui se présenteront aux électeurs le 7 juin. Ce jour-là, les Belges éliront à la fois leurs eurodéputés et leurs représentants régionaux.

Les "BV" ? Bekende Vlamingen, ou "Flamands connus". En résumé, des "pipole" dont la notoriété découle pour l'essentiel de leurs apparitions régulières sur des plateaux de télé, des terrains de sport ou dans les défilés de mode. Pour ne pas vexer leurs homologues de Wallonie, qu'il aurait logiquement fallu appeler les "WC", on a baptisé ces derniers "Francophones connus" (FC).

En Flandre, le BV aujourd'hui le plus en vue est Jean-Marie Dedecker, ancien entraîneur de l'équipe nationale de judo - l'une des rares disciplines à avoir apporté des médailles au pays. Député et chef du nouveau parti populiste et ultralibéral (La Liste Dedecker, LDD), il cartonne dans les sondages. L'ex-entraîneur a notamment amené à l'avant-scène une ex-Miss Belgique et une ancienne championne olympique. La LDD a d'ailleurs recruté de nombreuses personnalités médiatiques pour le futur scrutin, convaincue que des électeurs aux convictions floues et peu ancrées rallieront plus facilement une tête connue qu'un projet intéressant.

En définitive, les populistes ne font que pousser à l'extrême la pratique des formations traditionnelles désireuses de s'adapter à l'époque du tout-média et aux conséquences du système électoral. Celui-ci présente une série de particularités : en Belgique, où le vote est obligatoire, la représentation se fait à la proportionnelle intégrale et l'électeur peut voter soit pour la liste établie par un parti, soit pour une ou plusieurs personnalités de cette liste. Démocratique, peut-être ; complexe, sûrement. En tout cas de moins en moins susceptible de faire triompher une idée forte, vite noyée, à tous les niveaux de pouvoir, dans le brouillard épais des coalitions entre plusieurs partis - cinq, pour l'instant, au gouvernement fédéral.

Pour les partis, le "pipole" est devenu l'arme secrète anti-impopularité.

L'auteur d'un doctorat à l'université de Gand estime que, à la même place sur une liste, un BV/FC a trois fois plus de chances de se faire élire qu'un candidat "normal". Celui-ci a beau râler, ou mettre en évidence le travail qu'il a accompli - voire sa compétence -, il doit bien vite se plier à une autre loi d'airain : l'opinion se dit majoritairement hostile à la personnalisation (60 % y étaient opposés en 2003), mais, une fois dans l'isoloir, les électeurs permettent à des personnalités connues de réaliser des scores personnels impressionnants. Autant dire que, pour le scrutin du mois de juin, qui suit une interminable crise et se déroule dans un climat de défiance inégalé, la chasse aux personnalités a battu son plein.

Outre les Miss Belgique - dont trois au total ont déjà rallié la droite et l'extrême droite flamandes -, on trouve surtout parmi les nouveaux venus des sportifs, des personnalités du monde culturel et l'un ou l'autre médecin célèbre. Et puis de nombreux journalistes de télévision, surtout du côté francophone. Trois ex-présentatrices du journal télévisé du soir, deux de la chaîne privée, une de la chaîne publique, sont en lice. L'une d'elles conduit une liste centriste pour les européennes deux ans seulement après être entrée dans l'arène politique.

Le parti écologiste n'est pas en reste : il a réalisé un "coup" en recrutant Jean-Claude Defossé, vedette de la RTBF, où il a dénoncé les nombreuses turpitudes du monde politique. Sa candidature lui a valu un commentaire aigre-doux de l'une de ses cibles favorites : le PS, qui a sous-entendu qu'il s'abstenait, lui, d'embrigader des vedettes du petit écran, la politique restant une chose "sérieuse". Pour se rendre populaires, les socialistes ont, eux, choisi une autre méthode : ils privilégient les "fils et filles de...", héritiers plus ou moins talentueux de parents qui se sont fait un nom. C'est une autre façon de tenter de séduire ceux que la politique indiffère, mais qui, contraints de se rendre au bureau de vote pour éviter une amende, recherchent un nom connu à cocher.

La "pipolisation" se développe à un point tel que des commentateurs en appellent aujourd'hui à l'établissement du scrutin majoritaire. Ils connaissent les travers de ce dernier, mais finissent par penser qu'il vaut mieux qu'un système qui fait trop facilement du BV/FC un politique. Pis : qui pousse des politiques à tenter de devenir à tout prix des... BV/FC. Car on ne compte plus les talk-shows, jeux télévisés ou spectacles ineptes où les politiques en quête de popularité s'exercent à devenir des vedettes du petit écran.

Dans cette course, c'est Bart De Wever, leader des autonomistes de la Nouvelle Alliance flamande (N-VA), qui s'est imposé. Arrivé en finale, au bout de plusieurs jours, d'un jeu intitulé "L'homme le plus intelligent du monde" (!), il a échoué à la dernière seconde seulement, contre un jeune journaliste de la chaîne publique VRT. Lequel n'a pas (encore) été recruté par un parti.

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