Paul-Henry Gendebien : un rêve de France - 25 février 2009
Portrait par Jean-Pierre Stroobants, correspondant du journal Le Monde

Au concours "Qui aime la France ?", il l'emporterait haut la main. Et pourtant il est belge. Wallon, plutôt. Et encore, "par choix non délibéré, par héritage accepté sans bénéfice d'inventaire", écrivait-il, il y a vingt ans déjà. Sa capitale, c'est Paris, "port d'attache naturel du peuple wallon, havre lorsque grandit la tempête". Son modèle, c'est la république, qu'il n'oppose pas à la monarchie de son pays, mais qui résume simplement toutes les valeurs auxquelles il adhère. Son vrai pays, c'est la France.

Yeux mi-clos, arguments enchaînés sans relâche, Paul-Henry Gendebien rêve plus que jamais du grand matin. Celui où il se rendra aux urnes pour répondre à la question toute simple qui serait posée aux francophones belges : "Voulez-vous faire partie de la République française ?" Cela lui vaut d'être affublé d'une vilaine étiquette : "rattachiste", allusion à un courant politique plus ou moins présent, selon les périodes, dans le sud de la Belgique et dont il incarne le "canal historique". Il revendique l'idée, bien sûr, mais préfère se définir comme "réunioniste". Pour lui, Wallons et Français ont toujours été dans le même camp. Et il n'est pas avare de formules pour appuyer sa démonstration. "Quand la France souffre, la Wallonie souffre. Quand elle est fidèle à ses valeurs de liberté, les Wallons sont à ses côtés", lance-t-il.

Une légère pointe d'accent ardennais qui égaye une langue châtiée, une mèche grise qui retombe en désordre, des lunettes fumées posées sur le bout du nez, une volonté vibrante de convaincre : Paul-Henry Gendebien fait sourire, intrigue, étonne, tant par son érudition que par sa ténacité. "C'est un foutu casse-pieds, mais quel talent !" concède l'un de ses anciens adversaires politiques, du temps où il dirigeait le Rassemblement wallon, une formation régionaliste, dans les années 1970.

Depuis, celui que la presse conservatrice avait baptisé le "Baron rouge", allusion à ses lointaines origines aristocratiques et à ses convictions "antisystème", a évolué et tiré un trait définitif sur la Belgique de papa, celle que ses ancêtres contribuèrent à fonder. Plus personne ne songe à dire, comme à ses débuts, qu'il est un "révolutionnaire incivique" ou un "fédéraste". Maintenant que tout le monde évoque ouvertement la possible fin de la Belgique, ce septuagénaire retrouve une âme de pionnier et l'ardeur du prêcheur.

Il parcourt sa Wallonie de long en large, dénonce, mobilise, interpelle, se lamente du peu d'écho que lui réservent les grands médias. Mais au fond de lui, il se réjouit d'avoir renoué avec la tradition familiale de l'engagement politique en un moment déterminant.

Quatre de ses ancêtres participèrent à la Constituante belge, qui accoucha de l'Etat indépendant en 1830-1831. De tous, c'est sans doute Jean-François Gendebien qu'il préfère. Esprit indépendant, sans nulle trace d'opportunisme, fidèle à ses idées, comme il aime à le décrire. Le père de Jean-François, Alexandre, avait pour sa part négocié à Paris, notamment avec La Fayette et le roi Louis-Philippe lui-même, une réunion à la France ou, au moins, l'accession d'un prince français au trône de Bruxelles.

Ne lui dites pas qu'il reste ultraminoritaire. Il s'en moque. Son parti, le Rassemblement Wallonie-France (RWF), n'a pourtant réalisé que 1 % en Wallonie, en 2004. Avec ses amis, il a pris l'habitude d'être caricaturé. Mais il est convaincu que l'interminable crise politique et institutionnelle de la Belgique a eu pour effet de convaincre de plus en plus de francophones.

Dans certains sondages récents, près de la moitié des Wallons se sont dits favorables au rattachement à la France. Une enquête a même indiqué que 22 % d'entre eux voulaient désormais la fin du royaume. Et des citoyens, fraîchement convaincus, semblent désormais appuyer l'idée du rattachement, parce qu'ils estiment simplement qu'il ne faut pas offrir Bruxelles à la Flandre ou à l'Europe. Dans les scénarios de M. Gendebien, la région-capitale, généralement présentée comme l'un des derniers freins véritables à la séparation du nord et du sud de la Belgique, serait donc offerte à Paris.

Voilà pour les bons sondages, ceux qui plaisent aux réunionistes. D'autres démontrent, au contraire, la volonté affirmée des francophones de maintenir un pays, certes fédéralisé, mais encore uni. Qu'importe. Pour Paul-Henry Gendebien, le temps est venu de présenter au peuple wallon, qui vivrait "en résidence surveillée", une autre perspective que la survie dans un Etat qui ne serait qu'un mythe, un mauvais ménage, un intermédiaire médiocre n'ayant jamais permis l'émergence d'une vraie nation. Ensuite, les Bruxellois seront à leur tour acquis à ces idées, estime le pape du réunionisme.

Ce discours-là, il l'a réglé au quart de tour, soir après soir, dans des salles municipales ou des bistrots de village, parfois sur un plateau de télévision. Il l'a testé auprès d'auditoires souvent hostiles, parfois conquis. RWF, combien de divisions ? Aucune, si l'on veut évoquer par là les débats houleux qui agitent souvent les groupuscules. Paul-Henry Gendebien s'impose à ses troupes par sa force de conviction, son passé au sein du Rassemblement wallon, des Parlements belge et européen et, surtout, par le rôle qu'il a joué à Paris en tant que délégué - une sorte d'ambassadeur - de la Communauté française de Belgique, l'organe politique qui unit les Wallons et les Bruxellois francophones.

Divisions ? Le RWF n'en compte pas davantage si l'on veut parler du nombre de ses militants. Lors de ses sorties - derrière des bannières qui affirment : "Wallonie, Bruxelles, régions de France" -, ils ne sont que quelques dizaines, professeurs, fonctionnaires ou médecins, à étaler leurs convictions. Mais les événements récents lui ont ramené de nouveaux militants, "très convaincus", affirme le RWF.

Il reste à savoir si, aujourd'hui, la France voudrait d'un demi-royaume, dont celui-là même qui voudrait le lui offrir concède qu'il manque "de grandeur, d'efficacité, d'esprit d'aventure". A en croire Paul-Henry Gendebien et ses relais à Paris, la France regarderait les choses "avec une grande gravité". Le réunioniste se convainc que la diplomatie est attentive et que, de toute façon, l'opinion française est "plus audacieuse et généreuse" que ses dirigeants. Qu'elle accueillerait à bras ouverts ses cousins d'outre-Quiévrain. Dans les scénarios très élaborés de M. Gendebien, l'Europe non plus ne serait pas un obstacle.

Quand il quitte ses interlocuteurs, un peu épuisés, Paul-Henry Gendebien aime souvent à citer une pensée : "Les grandes idées sont d'abord partagées par un petit nombre." C'est sa référence, non française. Elle est signée Goethe.

Parcours :

1939
Naissance à Hastière (province de Namur, Belgique).

1964
Doctorat en droit, licence en économie de l'université de Louvain.

1971
Député de Thuin (province du Hainaut).

1979
Député européen.

1988
Délégué général à Paris de la Communauté Wallonie-Bruxelles.

1999
Président du Rassemblement Wallonie-France.

2008
Parution de "Wallons et Bruxellois avec la France !" (Editions Cortext).


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