Lettre ouverte aux Européens sur la question belge - 15 août 2008

Paul-Henry Gendebien, Président du R.W.F.

En ce mois d’août 2008, le répit observé dans la crise existentielle belge n’est qu’apparent.  Nul apaisement durable n’est prévisible et l’hypothèse d’une partition à l’amiable de la Belgique reste sérieuse.  Aussi le discours entendu ici et là – « Belges, continuez à vivre ensemble parce que vous êtes un modèle pour l’Europe » -, n’a-t-il que peu d’effets en Flandre et en Wallonie, car il y est ressenti comme un prêche paternaliste.  A Liège comme à Anvers, on estime que l’Europe devra bien se résoudre à accepter que l’Etat belge, qui eut quelque utilité au 19ème siècle, a fait son temps et doit s’effacer dans la plus grande sérénité possible, sans dommages collatéraux pour les collectivités concernées et pour les Etats limitrophes.
Serait-il convenable que l’Europe se prévale de l’héritage des Lumières et du libéralisme démocratique et que, dans le même temps, elle refuse a priori le droit à l’autodétermination et au divorce par consentement mutuel à des peuples qui pourraient ainsi conjurer raisonnablement les menaces de chaos politique ?


L’Europe, nouvelle « Sainte Alliance » ?


Si, par un paradoxe surprenant, l’Europe officiellement anti-étatique s’aventurait dans les affaires intérieures d’un membre de l’Union au nom de la supériorité des Etats sur les peuples ; si de surcroît, la règle (décrétée par qui ?) du statu quo des frontières interdisait tout ajustement territorial commandé par les aspirations des populations alors même que furent entérinés, il n’y a guère, des bouleversements bien plus dramatiques tels que la réunification allemande ou l’implosion de l’empire soviétique ; si, en fin de compte, notre Europe reproduisait la posture castratrice de la Sainte Alliance issue du Congrès de Vienne en 1815, ne verrait-on pas alors renaître certains refus populaires prêts à s’enrôler contre le « nouvel ordre européen » établi ?

Assurément l’Union ferait fausse route si elle adressait des remontrances moralisatrices à ceux qu’on appelle encore « les Belges ».  Au demeurant, les vrais responsables politiques de l’Europe, les grands chefs d’Etat et de gouvernement, se sont prudemment abstenus de morigéner qui que ce soit.  Seuls quelques politologues, historiens ou élus de second rang se sont-ils laissés aller à des invocations rituelles sur la prétendue belgitude, voire à des demandes de « sanctions ».

Non, Mesdames et Messieurs, sauf dans les contes de fée, la Belgique n’a jamais été une nation.  Elle n’est pas le modèle en réduction d’une Europe idéale.  La cohabitation, même fédérale, entre Wallons et Flamands est un échec historique.  Jamais il n’y eut entre eux de merveilleux mariage fusionnel germano-latin.  Et les compromis « à la belge » furent toujours une somme provisoire de mécontentements respectifs au sein d’une société absolument duale fondée sur le communautarisme.  Quant à l’épuration culturelle orchestrée contre la langue française à dix kilomètres du siège de la Commission, il n’y a que les instances européennes pour ne l’avoir pas encore aperçue.


La Belgique n’est pas une petite Europe idéale


Le poncif d’une Belgique multiculturelle – « miroir de l’Europe » - relève donc d’une mythologie naïve et d’une construction idéologique  produite par les dernières élites belgicistes dans le but de pallier le défaut de sentiment national et de combattre le séparatisme.  A travers l’idée d’une Belgique « prototype de l’Europe fédérale », on voulait l’avènement d’un Etat européen qui aurait transcendé les égoïsmes nationaux et enseveli ceux-ci dans une nécropole des nations défuntes.  L’oligarchie belge pressentait ainsi une fin honorable pour le Royaume grâce à une « dissolution-dépassement » permettant de faire l’impasse sur la crise actuelle de l’Etat.

On comprend ainsi comment la Belgique a instrumentalisé l’idéologie fédéraliste européenne pour sublimer son propre malheur, mais on devine aussi comment, aujourd’hui, certains Européens voudraient utiliser la mythologie belge pour pérenniser leur idéal émasculé par les élargissements de l’Union et par sa dilution dans une vaste zone de libre-échange.

Au lieu de succomber à ce piège et de vouloir secourir inconditionnellement un Etat finissant, l’Europe ferait mieux d’ouvrir les yeux : l’exaspération réciproque entre Wallons et Flamands ne cesse de monter en puissance.  La question belge est posée à l’Europe.

Autant le reconnaître, les incertitudes européennes et les dérives belges ne sont pas sans liens entre elles.  On ne peut pas impunément vouloir construire l’Europe et s’accommoder des rivalités aiguës entre régions riches et pauvres, encore exacerbées par le renoncement à toute politique industrielle et plus généralement par la priorité concédée à la stabilité monétaire sur la croissance.  On ne peut pas, tout aussi impunément, désirer « plus d’Europe » en tablant sur un dépérissement insidieux et continu des Etats-Nations et sur la négation cynique des identités populaires.


Un test crucial pour l’Union


Je suis de ceux qui se sentent profondément européens mais qui redoutent, à l’occasion du scrutin de 2009, l’expression d’un ressentiment supplémentaire vis-à-vis de la construction de la maison commune.  A cet égard, les positions que l’Europe prendra sur l’affaire belge constitueront à coup sûr un test de sa capacité à gérer sa propre architecture et son rapport aux Etats, aux Régions, aux Peuples.

L’inévitable et nécessaire internationalisation de la crise de l’Etat belge pourrait postuler une implication européenne.  Ainsi, l’Union devrait pouvoir être chargée de la surveillance, voire de l’organisation des référendums locaux qui fixeront, notamment dans la grande banlieue de Bruxelles, les frontières définitives des Etats successeurs de l’ancienne Belgique.  L’Union devrait pouvoir intervenir en faveur de la protection des quelques minorités qui subsisteront de part et d’autre.  Et elle pourrait contribuer à la définition d’un statut de Bruxelles (intégrée ou non, à l’instar de la Wallonie, dans la République française) qui prenne en compte la dimension et la vocation européennes de cette grande métropole francophone.

J’en témoigne : le mouvement wallon n’est pas séparatiste, ni nationaliste.  Il prend acte de l’échec belge et regarde vers la France car il escompte un arrangement mutuellement positif avec elle lorsque la partition belge sera consommée.  Il faut le savoir : la Wallonie ne veut pas former un nouvel Etat-confetti en Europe.  Elle ne rêve pas d’une Europe néo-médiévale de 400 micro-Etats régionaux. Les Wallons ont le sens de l’Etat et apprécient le principe républicain.  C’est pourquoi, quand la Belgique se sera défaite, ils ne souhaiteront pas demeurer orphelins d’un Etat digne de ce nom.  D’où le plan réunioniste de ceux qui préparent un retour des provinces wallonnes dans la maison de famille française, avec des modalités convenables pour les deux parties.  Il est donc manifeste que le règlement équilibré et pacifique de la crise de l’Etat belge dépendra non seulement de l’Europe mais autant et même davantage du rôle primordial que joueront ses grands voisins, au tout premier rang desquels figure naturellement la République française.


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