La Brulonie : un scénario de BD - 29 février 2008

Billet d’humour de Pierre-René Mélon, écrivain

On a beau jouer aux orpailleurs du temps et remuer les ruisseaux de l'histoire, rien n'y fait : nulle pépite ne sort de la vase pour fonder une quelconque légitimité wallonne à se prendre pour une nation. Evidemment, on nous reparlera des "Wallons" qui ont fait New York ou de ces Namurois trempés dans l'acier suédois ; on convoquera l'une ou l'autre personnalité des Pays-Bas francophones ou de la Principauté de Liège (Rogier de la Pasture, Josquin des Prés, Rennequin Sualem...), histoire de prouver que nous avons aussi participé à la geste occidentale. Certes, nul ne le conteste, nous pouvons tirer une légitime fierté de nos glorieux ancêtres. Mais le constat politique reste le même : la Wallonie n'est ni une nation, ni un Etat. Et elle n'est pas près de le devenir parce que, tout simplement, les Wallons ne le veulent pas, ne le "sentent" pas. Le partage d'une même langue et la cohabitation de sept générations dans l'Etat belge n'ont pas pu fonder un véritable esprit public ni une conscience nationale wallonne.

Par ailleurs, tous les gens qui comptent savent qu'un Etat wallon est impossible, financièrement, s'entend. Sur le plan des idées, tout est évidemment imaginable, du wallon r'fondu au Luxembourg annexé, en passant par la sécession des cantons germaniques et la renaissance de la Principauté de Liège : le Kossovo et la Bosnie-Herzégovine, ces Etats-stratego, ces Belgiques balkaniques, sont là pour illustrer les joies combinées du scrabble et du lego. Par contre, sur le plan pratique, rares sont les Wallons qui accepteraient de céder 20 % de leur pouvoir d'achat contre la fierté (?) de posséder une carte d'identité wallonne et voir le "Coq hardy" lever sa patte griffue sur les mâts. Inversement, on imagine sans peine le spleen baudelairien d'un éventuel conseiller économique monténégrin ou d'un attaché culturel guatémaltèque dans son appartement de Jambes, au coeur de la République populaire de Wallonie. Aujourd'hui, le constat est clair : après trente ans de fédéralisme, la majorité des Wallons se sentent d'abord belges, puis citoyens d'une ville ou d'une sous-région, puis seulement wallons. Quant à la France, l'iceberg wallon la voit comme sa banquise : la joie de flotter tout seul, mais la peur de fondre.

De toute façon, l'establishment belgo-bruxellois ne laissera jamais filer son arrière-pays. La Wallonie va servir à protéger Bruxelles des appétits flamands ; elle constituera une réserve de main d'oeuvre et formera un indispensable hinterland (n'oublions pas l'eau, les universités, les voies de communication, l'espace vierge et le grand air des Ardennes pour aérer les poumons encrassés des petits Bruxellois). On va vous emballer tout ça dans la solidarité, la défense des francophones, les intérêts économiques communs, etc. Mais le but sera de protéger Bruxelles de l'asphyxie en la connectant sur la bonbonne à oxygène wallonne. Globalement donc, la Wallonie est en voie de congolisation.

Va donc pour la "Brulonie" de M. Maingain, elle sera une étape de plus dans la durabilité du chaos. Mais, sachons-le, on ne s'improvise pas "peuple" ou "nation", fut-ce par défaut. Le bidule aura donc forcément la forme de l'Atomium : des boules creuses reliées par des tuyaux vides. Les chamailleries entre wallingants et frankeufeunes, rouges contre bleus, vont rapidement faire monter l'ambiance. Ce sera, je le crains, un Clochemerle permanent. Retour à la case BD (Belgique Deuxième).

Qu'on pardonne mon incivisme prématuré, mais je ne puis imaginer ce parlement "brulon" que peuplé de maires de Champignac, de Spirou et Fantasio, et ce pays burlesque, je ne peux me le figurer que dirigé par un gouvernement de Schtroumpfs à lunettes expédiant aux quatre vents des ambassadeurs à la Séraphin Lampion ; les partis et factions distribueront les miettes de leur pouvoir avec un sens du bien commun aussi inflexible que la queue du Marsupilami. Dans ce contexte roboratif, on imagine sans peine la composition d'un futur gouvernement du ci-devant royaume : Tintin aux Affaires Etrangères, Les Dupond à la Justice, Haddock aux Finances, Benoît Brisefer à l'Intérieur et, cela s'impose, Gaston à la Défense... L'esprit de féodalité (seul et véritable tropisme wallon) reprendra vite le dessus, mais tout le monde sera content : pensez donc, Johan et Pirlouit seront maîtres chez eux !

Allons, réjouissons-nous ! Ce pays impayable nous amuse déjà. Bientôt, nous serons en Brulonie, c'est-à-dire nulle part. Que l'Europe en prenne de la graine : plus de frontières, plus de nations, rien que du "peps", du Pips et du pèze. Le Belge mène, en tête, la course au néant.

Pierre René Mélon


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