Echos de Flandre - décembre 2007

Quand, dans un bel ensemble, les Flamands, personnalités du monde politique, associatif, des médias, ou simples citoyens, affirment que les communes à majorité francophone de la périphérie bruxelloise se trouvent en Flandre et que, donc, la population doit s'adapter à cette situation, ils réagissent comme si la Flandre était un État. Ce sentiment qu'ont les Flamands, sinon de constituer un État, en tout cas d'être un peuple, est très souvent exprimé dans la presse.

Dans un éditorial paru fin novembre dans De Standaard, Guy Tegenbos se lamente sur cette crise qui s'éternise : «Ces pourparlers ne sont pas des pourparlers normaux en vue de la formation d'un gouvernement. Ils ressemblent davantage à des pourparlers diplomatiques entre deux pays.» Et d'ajouter : «Flamands et francophones ont, comme deux pays, des intérêts différents, des économies différentes, des partis politiques et des opinions publiques totalement sépa­rés et des préférences politiques différentes.»

Toujours dans De Standaard, trois membres du Mouvement flamand, s'affirmant progressistes et de gauche, adressent début novembre une Lettre ouverte à une Belge inquiète, à savoir à l'initiatrice de la pétition qui a abouti à la marche pour l'unité de la Belgique du 18 novembre. Contestant que la plus grande autonomie réclamée par les Flamands soit dic­tée par leur égoïsme, ils affirment que ce sont les structures belges mêmes, du fait qu'elles accentuent les problèmes communautaires, qui menacent la solidarité. «L'absence de fron­ières nettes est le meilleur moyen d'hypothéquer la solidarité, écrivent-ils. Oui, les frontières délimitent et font en sorte qu'un peuple porte la responsabilité de ses compétences. Cela n'a rien à voir avec le chauvinisme, le patriotisme, les drapeaux qu'on agite ou les feux de camp avec chants popu­laires qui rappellent des pages noires du passé. Il y va tout simplement du droit très démocratique à l'autodétermination. Ce qui est très étonnant, c'est que certains intellectuels flamands éprouvent de la gêne à s'exprimer en tant que Flamands. Qu'y a-t-il de mal à reconnaître qu'on appartient à tel ou tel peuple ? Ce n'est absolument pas en opposition avec l'internationalisme et la solidarité ( ... ). Les deux peuvent parfaitement se compléter».

La perception flamande du problème de la périphérie

On ne s'étonnera pas, dans ces conditions, que la perception du problème de la périphérie et des communes à facilités soit radicalement différente en Flandre de ce qu'elle est à Bruxelles et en Wallonie.

Dans un article paru le 17 septembre dans Gazet van Antwer­pen, Paul Geudens définit les facilités comme suit : «Par es­sence, les facilités sont uniquement présentes dans des territoires unilingues — néerlandophones ou francophones. Elles sont destinées à donner à une minorité d'allophones l'occasion de s'adapter à l'unilinguisme officiel. Comme dans les six communes de la périphérie de Bruxelles, par exemple, où, en 1963, les francophones ont obtenu le privilège d'utiliser le français pour certains actes administratifs. Temporairement. Jusqu'à ce que chacun ait fait l'effort d'apprendre la langue du territoire où il habite».

Analysant l'échec d'Yves Leterme, début décembre, le même Paul Geudens affirme: «La principale raison (de son échec) est la conception qu'ont les francophones de la notion de "démocratie". Pour (les partis francophones), un État de droit démocratique doit protéger les minorités. Et cette protection doit être si forte que cette minorité aura pour l'éternité un droit de veto contre les souhaits et les conceptions de la majorité. C'est unique au monde. Nous sommes le seul pays de la planète où la volonté de la minorité pèse plus que celle de la majorité. Et pas pendant une période convenue, qui donnerait le temps de régler les problèmes, mais pour les siècles des siècles, amen. Nos frères et soeurs francophones en Wallonie (sic) et en Flandre sont mieux protégés que toutes les minorités d'Europe réunies. Cela doit changer. À défaut, c'en est fini de la Belgique».

Mia Doornaert est une journaliste très connue en Flandre. Ses chroniques, qui paraissent régulièrement dans De Standaard, sont généralement des textes de réflexion, bien écrits et argumentés, d'un ton plutôt mesuré (elle vient de recevoir le titre de baronne, c'est tout dire...). Voici ce qu'elle écrit le 16 novembre : «J'en ai ras le bol des incessantes accusations francophones, qui ne sont d'ailleurs pas le fait du seul PS, quant au prétendu impérialisme des Flamands. À ma connaissance, ce ne sont pas les Flamands qui nient et contestent sans cesse la frontière linguistique. J'en ai ras le bol que de nombreux francophones continuent de s'installer en Flandre en toute connaissance de cause, sans avoir l'élémentaire respect (...) d'apprendre le néerlandais».

Que l'on "oublie" la manière dont ces communes ont été rattachées au Brabant flamand relève déjà de la malhonnêteté intellectuelle collective. Mais certains, dans les milieux plus "flamands", recourent carrément au mensonge. Ainsi le Centre de concertation des associations flamandes (Overlegcentrum van Vlaamse Verenigingen – OVV) affirme sur son site internet, à propos des communes à facilités, que les convocations électorales ont été envoyées «en violation flagrante de la loi» (ce qui est objectivement faux), que, du fait des facilités, ces communes n'ont pas de bibliothèque communale (ce qui est faux, évidemment), que les francophones devraient accepter, pour les écoles francophones de ces communes, l'inspection flamande, puisque c'est la Flandre qui paie (autre contrevérité : les écoles francophones de ces communes sont financées par une dotation fédérale).

Quant à Guido Fonteyn, le "bon Flamand" de service, il sombre dans le délire. Après avoir constaté que le français a été de tout temps la langue administrative de ces communes, il écrit dans De Morgen : «Donc, la décision de M. Keulen (ndr : le ministre flamand de l'intérieur) de ne pas nommer les bourg­mestres met un terme à l'époque féodale dans cette zone située autour de Bruxelles».

Jamais, au grand jamais, le fait que les francophones constituent, dans certaines de ces communes, 80 % de la population n'est mentionné. Jamais, il n'est dit que ces communes se sont retrouvées en Flandre à la suite d'un marchandage et sans que les populations soient consultées. Cette entreprise de désinformation porte ses fruits : ainsi, après la décision du ministre flamand de l'Intérieur évoquée ci-dessus, De Standaard a demandé à ses lecteurs s'ils pensaient que le ministre aurait dû reporter sa décision de ne pas nommer les trois bourgmestres. Le lendemain, plus de 5.000 personnes avaient répondu. 88 % d'entre elles estimaient que le ministre avait bien agi.

La marche pour l’unité de la Belgique

Les journaux flamands ne se sont évidemment pas fait faute de mettre l'accent sur le caractère très majoritairement francophone de cette manifestation.

«Une large majorité des présents étaient des francophones, remarque De Standaard, qui ajoute perfidement : Les organisateurs ont ainsi prouvé ce qu'ils voulaient nier ou du moins ne pas voir : que la Belgique qu'ils aiment tant n'existe pas». Gazet van Antwerpen, sous la plume de Paul Geudens, est plus explicite encore : «La vieille Belgique à papa (en français dans le texte) dont (les manifestants) rêvent ne reviendra jamais. Les réformes de l'État successives ont fait de ce pays un État fédéral. Ce processus n'est pas terminé. Il ne peut d'ailleurs pas l'être. Les deux communautés de ce pays s'éloignent sans cesse l'une de l'une. Nous ne pensons plus la même chose sur pratiquement rien». La conclusion est imparable : quoi de plus normal, dans ces conditions, que chacun veuille organiser la société à sa manière ? «Les manifestants de Bruxelles sont d'un autre avis, poursuit-il. Ils se trompent. Qui plus est, en insistant fortement sur l'unité du pays, (...) ils radicalisent l'aspiration à plus d'autonomie, qui est déjà très présente en Flandre».

Dans Het Belang van Limburg, Eric Donckier, après avoir constaté lui aussi que ce sont surtout des francophones qui participaient à cette manifestation pour l'unité du pays et la solidarité entre Flamands et francophones, assène : «On pourrait ajouter avec un peu de cynisme que les Flamands n'ont pas besoin de défiler pour manifester leur solidarité avec les francophones. Solidaires, ils le sont chaque jour, compte tenu des importants transferts financiers de la Flandre vers Bruxelles et la Wallonie».

Les réticences francophones

Beaucoup de Flamands ne comprennent pas que les francophones soient à ce point réticents à prendre leur destin en main. Il ne se passe guère de dimanches sans que Jean-Marie Dedecker le répète à l'occasion d'un débat télévisé. Voici ce qu'écrit à ce propos Peter De Roover, le secrétaire politique du Mouvement populaire flamand (Vlaamse Volks­beweging) : «il y a un scénario qui effraie les francophones plus que tout : devoir gérer leur région eux-mêmes sans l'aide des Flamands. Comment une région peut-elle sombrer à ce point dans un complexe d'infériorité ? Pour les tenants de la «solidarité» belge, la région forte se doit de mettre des remèdes à la disposition de la région la plus faible. En fait, les transferts ne guérissent pas, ils ne font que masquer la dou­leur. Et on sait que l'usage prolongé d'antidouleur induit une dépendance et une léthargie. Apparemment, la construction belge a ôté aux Wallons toute forme de confiance en eux».

Une petite dernière...

... sous la plume d'Eric Donckier dans Het Belang van Lim­burg du 3 décembre : «Même si elle est aujourd'hui la chouchoute de la presse francophone, Joëlle Milquet et ses partisans doivent savoir que ce qu'ils pensent être un frigo communautaire n'est qu'un four. Quand on y met les problèmes, ils disparaissent. Mais ils finissent par en ressortir, plus brûlants que jamais».

Préparons pommades et pansements...

Revue de presse de Jean-Paul Roos


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