Journal L’Humanité – 16 novembre 2007

1. Belgique : l’éclatement comme option

Gouvernement. C’est l’horloge parlante de la crise : ce vendredi, la presse belge inscrit en bandeau le 159e jour sans nouvelle équipe. Les jours se suivent et se ressemblent.

Cela fait plus d’une semaine que les négociations sont suspendues. Le roi a pourtant confirmé Yves Leterme dans sa mission. Plus exactement dans un de ses volets : il lui a demandé de former sans délai « le gouvernement dont la Belgique a besoin ». Dans le même temps, il a chargé les présidents des deux assemblées, le chrétien-démocrate Herman Van Rompuy pour la Chambre et le libéral Armand de Decker au Sénat, d’engager des consultations pour trouver les bases d’un compromis communautaire sur la réforme de l’État fédéral. Une dissociation dont on espérait qu’elle permettrait au formateur de sauter l’obstacle et d’avancer enfin vers une solution, fût-elle partielle.

Les vieux démons à nouveau déchaînés

Plus facile à dire qu’à faire. Les vieux démons se sont à nouveau déchaînés mercredi, quand le président du Sénat a parlé de mettre sur pied un « collège national pour le dialogue des communautés » chargé d’élaborer une réforme des institutions qui, a-t-il dit, « pourra prendre des années ». Selon lui devraient être consultés tous les courants politiques des deux parties du pays, y compris les socialistes et les écolos, actuellement relégués dans l’opposition.

Une déclaration qu’il voulait « apaisante » mais qui a soulevé la tempête. Bart De Wever, l’apprenti sorcier de la NVA, allié d’Yves Leterme, tonne : « Pas question de dissocier l’institutionnel ! Il n’y aura pas de gouvernement sans réforme de l’État. » Il n’en démord pas, allant jusqu’à dénier toute légitimité aux « sages » choisis par le roi.

Les deux hommes, aussi différents soient-ils, Van Rompuy, flamand et catholique, de Decker francophone, laïque et libéral, sont des négociateurs expérimentés. L’un confédéraliste, l’autre attaché à la Belgique et à sa devise « L’union fait la force ». Mais ils appartiennent à une génération qui savait rechercher le compromis plutôt que l’affrontement. Aujourd’hui, il semble que la recette du fédéralisme de collaboration soit perdue au profit d’un fédéralisme de confrontation qui ne peut mener qu’au dépeçage du pays.

La décision prise mercredi par le ministre de l’Intérieur flamand, Marino de Keulen (libéral de l’Open VLD), va encore mettre de l’huile sur le feu de la guerre linguistique. Il a annoncé que trois des quatre bourgmestres des « communes à facilités » de la périphérie bruxelloise qui attendent depuis plus d’un an d’être nommés ne le seront pas et demandé qu’on les remplace. Leur crime : avoir adressé aux électeurs francophones, majoritaires dans ces communes flamandes, des circulaires électorales en français. Et avoir tenu, le 22 octobre, des conseils au cours desquels des élus se sont exprimés en français. En revanche, il a nommé la quatrième bourgmestre, Myriam Delacroix-Rollin, de la commune de Rhode-Saint-Genèse, clef du verrou séparant Bruxelles de la Wallonie. Une manoeuvre de division dénoncée comme « machiavélique » par les francophones indignés.

Voilà qui ne va pas aider à retrouver la sérénité. Et remettre sur le tapis la scission de l’arrondissement de Bruxelles-Hal-Vilvorde, dont le vote en commission il y a dix jours est à l’origine du blocage. Mais si les parlementaires flamands insistent tant sur cette scission, c’est que la frontière ainsi fixée marquerait celle de la future Flandre indépendante. Com- me nous l’affirmait le 22 octobre à Linkebeek l’un des activistes nationalistes venus chahuter le conseil municipal : « Nous voulons faire de la frontière linguistique une frontière internationale. Ainsi les Francophones ne pourront y mettre un pied sans provoquer un conflit. » Et d’ajouter : « Après tout, ce sont eux qui, en 1932, ont refusé le bilinguisme dans tout le pays. Ils récoltent les fruits de ce qu’ils ont semé. »

Ici et là, des voix se font entendre pour redouter les conséquences d’un tel jusqu’au-boutisme (voir les pétitions page suivante) et mettre sévèrement en question le rôle des partis. Mais elles paraissent bien fai- bles. L’impasse est telle que, comme l’écrit la rédactrice en chef du Soir, Béatrice Delvaux, « il faut se méfier que, dans l’imbroglio actuel, la voiture Belgique ne fasse une sortie de route, échappant à ceux qui s’en disputent le volant. Il ne faudra pas se lamenter, si, au détour d’une négociation ratée, c’est la séparation qui s’impose. L’éclatement du pays n’est plus une fiction mais une option. »

L’éclatement du pays n’est plus une fiction

Sur quoi déboucherait-il ? Le confédéralisme entre deux États, coiffés d’une coupole Belgique symbolique, commence à être envisagé comme un moindre mal - y compris par des leaders francophones comme le chef du MR (libéral), Didier Reynders. L’au- tre hypothèse serait la séparation pure et simple. La Flandre indépendante réaliserait son rêve de devenir partie d’une Europe des régions. Resteraient la Wallonie et Bruxelles. Les tenants de l’Europe des régions verraient d’un bon oeil la capitale de l’Europe devenir « district international » - solution vigoureusement rejetée par l’écrasante majorité des Bruxellois. Quant à la Wallonie, les observateurs s’accordent à dire qu’elle n’est pas viable seule. Certains regardent vers la France. D’autres se tourneraient vers une autre solution, ébauchée au sein même des institutions européennes. Car la Wallonie fait partie de la Grande Région créée en 1995, juste après le traité de Maastrich. Ressuscitant l’antique Lotharingie, elle comprend aussi la Sarre, la Rhénanie-Palatinat, le Luxembourg et la Lorraine. Avec l’ambition affichée de servir de « région modèle en Europe ». Nul doute qu’un tel scénario aurait des répercussions incalculables dans l’ensemble de l’Union européenne, déstabilisant les États- nations qui la composent.

Françoise Germain-Robin

2. L’impasse encourage les « rattachistes »

Entretien avec Paul Henry Gendebien, chef du parti le Rassemblement Wallonie-France.

Un sondage réalisé par l’Ifop pour le Journal du dimanche indique qu’en cas d’éclatement de la Belgique 54 % des Français seraient « favorables au rattachement de la Wallonie, c’est-à-dire des provinces francophones, à la France ». Ce taux atteint même 66 % dans les régions frontalières de la Belgique (Nord-Pas-de-Calais, Ardennes, Meuse) et il est plus élevé chez les sympathisants de gauche (56 %) que chez ceux de droite (53 %).

Nous avons demandé à Paul-Henry Gendebien, le chef du Rassemblement Wallonie-France (RWF), qui, en Wallonie, milite pour un tel rattachement, ce qu’il pense de ce sondage. « C’est encouragement, dit-il. Ces résultats ne m’ont pas vraiment surpris, car je sais qu’il y a en France une énorme sympathie pour nous. Je suis tout de même un peu étonné du score atteint dans les régions limitrophes, cela en l’absence de toute campagne de propagande. Cela s’explique, me semble-t-il, par la proximité historique, socio-économique et culturelle entre nos régions. Les populations y ont connu les mêmes guerres, la même désindustrialisation. Elles ont un peu la même manière de voter, plutôt à gauche. J’ai toujours dit que le peuple français était plus solidaire, plus généreux et plus révolutionnaire que ses élites, qui font preuve d’une grande frilosité. »

Certains pourtant - de gauche comme de droite, puisque George Sarre côtoyait à la tribune Paul Marie Couteaux - étaient présents lors du congrès fondateur du RWF, en novembre 1999 à Charleroi, bastion historique du mouvement wallon et du wallingantisme militant.

La tournure prise par la crise belge conforte les analyses de Paul Henry Gendebien. « Il n’y a pas de nation belge, affirme-t-il, mais seulement un assemblage de communautés. Il y avait un État, mais les Flamands sont en train de le détricoter. C’est un assassinat par étouffement. »

De cet assassinat, il rend responsable le mouvement flamand : « Nous assistons à la troisième étape de l’émancipation de la Flandre. La première fut linguistique et culturelle, la seconde politique, avec le fédéralisme. Nous en sommes à la phase économique. La Flandre, devenue riche et prospère, veut préserver son niveau de vie face aux incertitudes de la mondialisation. Elle veut mettre fin aux transferts inter-régions orchestrés par l’État fédéral dans le cadre de la solidarité nationale. Dans cette étape, le patronat flamand joue un grand rôle. Il fait bloc avec le mouvement flamand en faveur du dépeçage du pouvoir régalien de l’État belge. »

Paul Henry Gendebien ne semble pas troublé par le fait qu’une majorité des Belges se disent encore attachés à la Belgique - majorité nettement plus importante en Wallonie et à Bruxelles qu’en Flandre. « Les Francophones, dit-il, sont minoritaires dans ce pays. Ils s’accrochent à un État qui ne les protège plus parce qu’ils sont profondément dépolitisés. Ils se laissent berner par des médias et une classe politique qui leur font croire que le roi et les partis vont protéger les Wallons contre la Flandre. C’est une illusion. La vérité, c’est que la Belgique est en train de se vider par le haut et par le bas. Par le haut vers l’Europe, pour aller rejoindre la nécropole des nations défuntes, et par le bas vers les régions. Que restera-t-il au bout du compte ? Une Belgique résiduelle, la Wallonie et Bruxelles ? Ce serait un État croupion, non viable. C’est ce que nous refusons en choisissant la France et la République. Nous appelons le président Sarkozy à faire pour la France ce que le chancelier Kohl a fait pour l’Allemagne : une réunification historique. »

Nul n’est prophète en son pays : les théories du RWF ne séduisent guère les Wallons qui ont été moins de 2 % aux dernières élections à voter pour ce parti, et encore moins les Bruxellois. Mais Paul Henry Gendebien compte sur la crise pour redonner des couleurs au rattachisme (ndlr : il n’est pas tenu compte ici de tous les rattachistes calfeutrés au sein des partis officiels et qui courront à Paris dans les cinq dernières minutes).

Recueilli par F. G.-R.


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