Echos de Flandre - octobre 2007

Les tractations en vue de la formation du gouvernement, et donc les tensions communautaires, ont, tout naturellement, continué d’occuper une bonne place dans la presse flamande. Depuis quelques semaines, toutefois, le ton général est nettement moins agressif qu’au lendemain des élections de juin. Le triomphalisme, les déclarations matamoresques et les imprécations à l’adresse des personnalités politiques francophones se font plus rares. Comme si, devant le Rubicon, la Flandre hésitait …

Cela ne signifie d’ailleurs nullement que les éditorialistes aient évolué dans leurs positions. Ainsi, Paul Geudens, dans Gazet van Antwerpen, croit devoir rappeler à ses lecteurs à quoi servent les facilités accordées aux francophones dans six communes de la périphérie de Bruxelles : Elles sont destinées à donner à une minorité d’allochtones l’occasion de s’adapter à l’unilinguisme officiel. A la « minorité » de 80 % que représentent les francophones de Linkebeek ou de Drogenbos, par exemple !

Mais laissons là pour une fois les « faiseurs d’opinion » et interrogeons-nous sur ce que pense le citoyen flamand.

Pour le savoir, il est intéressant de voir, sur le site internet des différents journaux, les résultats de certains sondages en ligne ou de lire les réactions des lecteurs sur les forums consacrés à l’actualité politique.

Sondages

Début septembre, Het Laatste Nieuws pose sur son site internet la question suivante : « La Belgique doit-elle continuer d’exister ? » Sur les 23 000 personnes participant au sondage, 33,6 % répondent « oui », 10,7 % répondent « oui, mais comme Etat confédéral » et 53,7 % répondent « non ». Voilà pour ceux qui affirment, contre toute évidence, que le séparatisme est le fait d’une petite minorité de Flamands.

Au lendemain du « Gordel », randonnée cycliste autour de Bruxelles organisée chaque année par le pendant flamand de l’Adeps dans le but avoué d’affirmer le caractère flamand de la périphérie, à laquelle ont pris part cette année plus de 80 000 personnes, De Standaard demande : « Participez-vous au Gordel pour faire du sport ou pour souligner le caractère flamand de la périphérie de Bruxelles ? » Les 1500 et quelques réponses sont sans ambiguïté : « le caractère flamand » : 62,3 % ; « faire du sport » : 37,7 %. Le « Gordel », une innocente manifestation sportive, vraiment ?

Troisième (et dernier) exemple : le chanteur Helmut Lotti propose l’organisation d’un concert en faveur de l’unité de la Belgique. De Standaard demande : « Etes-vous favorable à cette idée ? » Sur les plus de 4400 votants, 77,5 % répondent « non » et 22,5 % répondent « oui ».

Les résultats de ces sondages se passent de commentaires. Ils ne font en fait que confirmer le résultat des élections : de 60 à 70 % des Flamands votent pour un parti séparatiste ou prônant le confédéralisme (ce qui, pour la Flandre, revient au même).

Forums

Les quelques exemples ci-après de réactions pêchées sur trois forums en disent long, eux aussi, sur l’état de l’opinion publique en Flandre.

Le 17 août, alors qu’on n’en était encore qu’à la première tentative de Leterme, Het Volk, journal relativement modéré et peu lu, pose sur son site la question suivante : « Croyez-vous encore en un dénouement heureux des négociations en vue de la formation d’un gouvernement ? » Douze jours plus tard, cette question avait suscité 1275 réactions. Voici quelques extraits tirés de dix réponses d’un seul tenant prises au hasard :

- Open-VLD : tenez vos promesses et fermez tout à fait le robinet qui déverse de l’argent sur le sud de la Belgique, je dis bien tout à fait. […] En fait, chaque Flamand devrait […] refuser de payer toute forme d’impôt aussi longtemps qu’un seul centime va en Wallonie. Yves Leterme : Courage ! Ne lâchez pas prise !

- Tout à fait impossible, sauf si on débranche le jackpot de la « solidarité » à sens unique qui dure depuis des décennies. On verrait comme ça qui est véritablement le plus fort.

- Qu'on scinde ce fourbi ! Ca fait assez longtemps qu'ils se payent notre tête. Que la Flandre commence par fermer le robinet des transferts avant de continuer les négociations. Espérons que cette fois les Flamands tiendront bon ! Et s'ils  ne veulent toujours pas entendre raison, que l'on scinde définitivement ce guignol ! [J’ai « lissé » la traduction, certaines expressions étant franchement grossières.]

- Le dénouement peut être "heureux" si les partis flamands ravalent leurs aspirations à plus d'autonomie. Un compromis à la belge […] implique que les Flamands ravalent plus de la moitié [de leurs revendications] ou accordent des compensations sous forme d'argent provenant d'impôts flamands, de sorte qu'ils ont toujours été perdants. En ira-t-il autrement cette fois-ci ? Les négociateurs flamands céderont-ils au chantage récurrent des francophones … pour sauver la Belgique ?

- Avec les francophones arrogants, il n'y a pas moyen de négocier. Après 175 ans d'un mariage malheureux, entamons enfin la procédure de divorce et dirigeons-nous vers un véritable avenir ... une Flandre indépendante !

- Tout à fait d'accord avec vous. Que la Belgique crève.

- Sans argent flamand, Bruxelles n'est pas viable ! Pourquoi les Flamands ont-ils toujours aussi peur des négociateurs francophones ? Plus on attend pour la scission, plus la (grande) banlieue de Bruxelles se francise. Vive la Flandre !!!

Vers la mi-septembre, Yves Leterme propose de mieux financer l’école francophone en échange d’un assouplissement de la position des francophones dans les négociations en vue de la formation d’un gouvernement. Cette proposition est aussitôt rejetée par l’ensemble des partis francophones, qui dénoncent la maladresse et l’arrogance du formateur. Question posée sur le site du Standaard : « Leterme ferait-il mieux de ne plus donner d’interview ? » Voici deux extraits tirés des premières réactions :

- Où allons-nous ? Faut-il que quelqu'un qui a recueilli 800 000 voix soit réduit au silence ? […] Nous, les Flamands, devons avaler les concessions, génération après génération. Qui donc mettra fin à cette tradition ? Leterme, j'espère.

- Cela fait longtemps que ce pays n'est plus un pays, même plus un mariage de raison. Messieurs les politiciens flamands, je vous en prie, faites front, contre l'impérialisme wallon.

Dernier exemple : début octobre, Olivier Maingain déclare que, si la scission de l’arrondissement de Bruxelles-Hal-Vilvorde est approuvée au Parlement fédéral par les seuls partis flamands, cela signifiera l’échec des négociations pour la formation du gouvernement. Le lendemain, Gazet van Antwerpen demande à ses lecteurs ce qu’ils pensent de cette déclaration. Petit florilège des premières réactions :

- Depuis 177 ans, ils ont été habitués à ce qu'on leur passe tous leurs caprices, et surtout pendant les huit ans de la coalition violette de sinistre mémoire. A présent, ils menacent les Flamands avec arrogance. Fort bien. On ne cède pas et on scinde le machin. Et la Belgique avec, si possible.

- Pourquoi ne pas leur répondre fermement […] que nous allons conserver toutes les recettes fiscales flamandes jusqu'à ce que l'affaire soit réglée. On parie qu'ils feront moins le malin ?

- M. Olivier Chagrain (sic) est un sale type d'extrême droite dans un beau costume. Pourquoi en Wallonie parle-t-on avec les gens d'extrême droite, et pas chez nous, en Flandre ?

- Le summum de l'arrogance. C'est invraisemblable avec quelle arrogance les politiciens francophones traitent les Flamands. Les Flamands versent chaque année, sans aucune condition, des milliards d'euros aux Wallons et quand, à la suite d'un arrêt de la Cour d'arbitrage favorable à la Flandre, il faut corriger une situation, ils refusent tout dialogue. Ils torpillent par tous les moyens la formation du gouvernement et ont encore la lâcheté de faire endosser aux Flamands la responsabilité d'une éventuelle scission du pays.

Et le reste est à l’avenant.

On objectera que ces excès de langage sont le fait d’exaltés. Sans doute, mais, d’une part, on ne peut que constater qu’il y a beaucoup d’exaltés et, d’autre part, les réactions appelant le monde politique flamand à la modération et à la solidarité, si elles ne sont pas totalement absentes, sont rares.

La lecture de ces forums révèle aussi que les Flamands se perçoivent comme les éternels perdants des réformes de l’Etat, considérant qu’ils doivent chaque fois céder devant les exigences des francophones. Le monde à l’envers, par rapport à la vision qu’en ont les francophones. Qui peut espérer pouvoir concilier deux perceptions aussi radicalement opposées ?

Il est dommage, vraiment, que les bonnes âmes qui, en Wallonie, mais surtout à Bruxelles, « ornent » leur façade du drapeau belge ne lisent que Le Soir ou La Dernière Heure ou ne regardent que la RTBf ou RTL. Mais peut-être ces bons Belges autoproclamés ne comprennent-ils pas le néerlandais … Ou alors ils sont sourds ou aveugles !

Revue de presse de Jean-Paul-Roos


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