Deux articles du Figaro par IRINA DE CHIKOFF, envoyée spéciale à Namur, publiés le 4 octobre 2007

1. Fondateur du rassemblement Wallonie-France, Paul-Henry Gendebien estime que la Belgique ne peut que disparaître à terme.

LA mèche vagabonde, l'oeil bleu moqueur, Paul-Henry Gendebien sait que les uns le prennent pour un doux rêveur et que d'autres l'accusent de « trahison ». Il sourit. Ancien député fédéral, européen et régional, il a fondé en 1999, le RWF ou Rassemblement Wallonie-France dont l'objectif consiste à rattacher les provinces francophones de Belgique à la République française. De sa mallette noire, le « baron rouge » - un surnom qu'on lui a décerné quand il présidait le Rassemblement wallon dont il a patronné le recentrage à gauche - sort plusieurs livres : Le Choix de la France, un plaidoyer, et Belgique, le dernier quart d'heure, un pamphlet sévère contre la classe politique wallonne.

Pour Paul-Henry Gendebien, la cause est entendue. Créée en 1830, après la révolte des provinces méridionales contre les Hollandais, la Belgique n'a pas d'avenir.

On peut le déplorer, et il reconnaît que nombre de Wallons et de Bruxellois ainsi que quelques Flamands veulent à tout prix sauver leur pays. « C'est de l'acharnement thérapeutique, dit-il, le cas est désespéré. » Il connaît même la date du trépas : 2010. Juste après les élections régionales de 2009, qui seront marquées, selon lui, par un raz de marée nationaliste flamand. « Au Rassemblement, nous avons simplement raison trop tôt. Mais si on me riait au nez, il y a encore quelques mois, aujourd'hui nos idées font leur chemin. »

Références à de Gaulle

Le baron se promène avec aisance à travers les siècles. À toutes les époques, il trouve de quoi apporter de l'eau à son moulin. Et de citer pêle-mêle les ducs de Bourgogne, Tournai qui fut cité royale jusqu'en 1715, le département de Sambre-et-Meuse, les parlers champenois, picard ou lorrain qu'on retrouve en Wallonie. Jamais Paul-Henry Gendebien, dont quatre ancêtres ont participé au Congrès national de 1830, ne manque de citer le général de Gaulle : « Si, un jour, une autorité politique représentative de la Wallonie s'adressait officiellement à la France, ce jour-là de grand coeur, nous répondrions favorablement à une demande qui aurait toutes les apparences de la légitimité. »

Convaincu que rien n'arrêtera les Flamands, qui auraient déjà programmé « l'euthanasie de la Belgique », le président de la RWF balaie, d'un geste de la main, les projets de repli sur un État croupion ou confetti, rassemblant Bruxelles et la Wallonie. Si les provinces du Sud sont pour lui, un « morceau de la France », il convient que c'est moins évident pour la capitale de la Belgique, mais ne voit pas non plus Bruxelles devenir un district de l'Union européenne. Car l'Europe n'est pas un État, et ses institutions n'ont pas vocation à administrer un territoire.

Le RWF ne représente que 2 % de l'électorat wallon. Paul-Henry Gendebien n'en a cure. Il a fait le choix de la France. Il ne doute pas que les opportunistes le rejoindront. En temps et en heure. Pour l'évincer et occuper la place.

2. Les Wallons commencent à douter de l'unité belge

Le chrétien-démocrate flamand Yves Leterme a repris hier ses négociations en vue de créer le gouvernement belge. Chargé de relancer les négociations près de quatre mois après les élections, il a entamé ces consultations dans un climat qui s'est à nouveau tendu entre francophones et néerlandophones. Yves Leterme, qui avait jeté l'éponge le 23 août après une première tentative infructueuse, a été remis en selle samedi par le roi Albert II, qui l'a, à nouveau, désigné « formateur » du prochain gouvernement. Yves Leterme a discrètement réuni les « chefs de délégation » des partis libéraux et chrétiens-démocrates, tant francophones que flamands, pour tenter de bâtir une coalition de centre droit.

ILS N'ONT pas hissé le drapeau noir, jaune et rouge sur les façades de leurs maisons pour manifester leur attachement à la Belgique. Les autocollants, frappés des mots « Un pour tous ou Ensemble » encartés dans les quotidiens, n'ont guère de succès non plus. Le Wallon est inquiet mais il n'aime pas se faire remarquer. Quant à manifester comme le font les Bruxellois... Débonnaire, bon vivant mais timoré, le Wallon ne se hausse jamais du col. Ce qui ne veut pas dire qu'il n'a pas une opinion ou bien qu'il accepte de gaieté de coeur les coups de boutoirs de leurs voisins. Mais le Wallon a des principes. Et le premier d'entre eux consiste à ne jamais envenimer une situation.

Philippe Destatte, directeur de l'institut Jules Destrée, est un homme pondéré. Courtois. Il constate, non sans regret, que pour la première fois, « les francophones et même les Wallons entrent dans le jeu irrationnel des surenchères à la manière des Flamands ». Jusqu'à présent, les règles étaient claires. Les Flamands attaquaient. Les Wallons se défendaient. Et au bout du compte on finissait toujours par trouver un compromis. Mais les francophones, cette fois, se sont rebiffés.

Dans un café de Namur, près de la place d'Armes, trois Wallons lisent la presse en hochant de la tête. Le premier trouve que les journalistes en font trop et qu'il aurait mieux valu ne pas faire « tout un waterzooï » des nouvelles revendications flamandes. Le deuxième est convaincu que la crise, une fois de plus, sera dénouée par quelques concessions de part et d'autre, car nul n'a intérêt à voir disparaître la Belgique.

Décennies de querelles

Le troisième dit que, même si un gouvernement est nommé, les Flamands finiront par constituer leur propre État. C'est à l'avis de ce dernier que commencent à se rallier de plus en plus de francophones. Comme si, après des décennies de querelles, bisbilles et escarmouches entre les trois régions fédérées qui forment la Belgique (Flandre, Wallonie et Bruxelles-capitale), le temps des chimères avait vécu.

Bourgmestre d'Andenne, député socialiste fédéral et ministre dans le gouvernement sortant, Claude Eerdekens n'a plus d'illusions. « J'aime mon pays, dit-il, et la Belgique ce n'était pas si mal que ça, mais le divorce est devenu inévitable. Nous n'empêcherons pas les Flamands de faire l'expérience d'un État indépendant. Continuer à jouer la défense, faire le verrou - comme on dit en football - ne sert plus à rien. » Le maire d'Andenne, une commune d'environ 25 000 habitants, entre Namur et Liège, sinistrée comme le furent dans les années 1960 presque toutes les villes industrielles ou minières de Wallonie, ne cache pas son chagrin. Celui-ci tient non seulement au démantèlement programmé de la Belgique mais aussi à la déception quant au Parti socialiste, qui a longtemps dominé en Wallonie comme à Bruxelles et qui s'est enlisé dans le clientélisme avant de sombrer dans la corruption. Une trentaine d'élus sont inculpés. Pour la première fois depuis des lustres, le Sud « rouge » a désavoué les socialistes aux législatives de juin 2007 et accordé la majorité au Mouvement réformateur libéral de Didier Reynders.

« Le Wallon ne sait pas qui il est »

Si la Flandre, région où les partis de droite dominent largement, insiste tant pour réformer l'État, c'est que les Flamands en ont assez de payer pour les gabegies des sudistes. Pour eux, les Wallons sont des « flemmards, des assistés et n'ont même pas les capacités intellectuelles requises pour apprendre le néerlandais ». Les Wallons savent bien qu'ils coûtent cher, 5 milliards d'euros de transferts du Nord au Sud, que le chômage chez eux est de 11,8 % avec des pointes allant jusqu'à 18 ou 30 % dans quelques provinces, tandis qu'en Flandre il plafonne à 5 %. La Wallonie ne représente que 23,7 % du PIB, la Flandre 57,3 %. Longtemps, les Wallons ont gémi sur leurs handicaps, le manque d'aides de l'État, les difficultés de la reconversion. Il y a deux ans, la région a lancé un plan d'actions prioritaires, dit plan Marshall. Les leaders politiques reconnaissent désormais que la Wallonie ne doit compter que sur elle-même. Un tournant ? La crise pourrait-elle servir d'électrochoc aux sudistes ?

Président de la Fondation wallonne, le Pr. Jean Pirotte est dubitatif : « Le Wallon ne sait pas qui il est. Ses seuls symboles sont la Belgique et la royauté. Agressé, il les défend, ou plutôt s'abrite derrière eux. Comment s'affirmer quand on n'a même pas conscience d'exister ? » Son fils, Arnaud a résolu la quadrature du cercle. Il est « réunioniste » et milite pour le rattachement de la Wallonie à la France.


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