Carte blanche de Luc Rosenzweig, ancien correspondant du journal Le Monde publiée dans Le Soir du 13 septembre 2007

On perçoit comme une gêne dans les analyses et commentaires français relatifs à la crise politique qui a éclaté cet été dans le royaume de Belgique : on a l’impression, à les lire, qu’elle embarrasse, qu’elle est intempestive, voire folklorique. Dérisoire, certes, au regard des événements autrement plus menaçants qui se déroulent dans d’autres parties du monde, cet affrontement entre les Flamands et les francophones d’outre-Quiévrain constitue néanmoins un défi politique et diplomatique majeur pour la France et pour l’Europe.

Dans les chancelleries, où l’on redoute les changements brutaux et incontrôlés des cartes de géographie établies par de subtils négociateurs à l’issue des grandes crises européennes des deux derniers siècles, on veut encore croire que les Belges bricoleront une fois de plus un de ces compromis baroques pour continuer de vivre, non plus ensemble, mais côte à côte.
Même si cela devait être le cas dans les prochaines semaines, la « question belge » n’en sera pas réglée pour autant, car le mouvement de la Flandre vers son accession au statut d’État nation est devenu irrépressible. Longtemps cantonnée aux milieux flamingants qui ont porté pendant des décennies le poids de leur compromission avec les nazis, cette revendication identitaire est maintenant partagée par la majorité de la population. Les Flamands ne comprennent pas qu’on leur refuse de déterminer librement leur destin, alors que ce droit a été récemment mis en oeuvre, avec l’aval de la communauté internationale, pour les Slovènes, les Slovaques, les Croates, et autres nations issues de la décomposition de l’empire soviétique et de ses annexes.

Le caractère non violent de cette revendication ne doit pas masquer la détermination de ceux qui s’en font les porte-parole. L’ensemble de la classe politique flamande, à l’exception des Verts, se retrouve sur un programme visant à vider le plus possible l’État fédéral belge de sa substance, comme cela est apparu dans les négociations jusque-là infructueuses pour la formation d’un gouvernement.

Face à cela, les francophones wallons et bruxellois sont sur la défensive : ils ne conçoivent, pour l’instant leur destin que dans le cadre d’un État fédéral belge suffisamment fort pour assurer le maintien d’une solidarité économique et sociale dont ils sont les premiers bénéficiaires. Une telle situation ne saurait durer. Si les partis démocratiques flamands reculent aujourd’hui devant les exigences francophones, ils seront balayés à la première occasion par des formations plus radicales, comme le Vlaams Belang.
Face à cela, ni la France, ni l’Europe ne peuvent rester simples spectateurs.
À lui seul, le futur statut de Bruxelles, disputé par les deux entités belges en cas de scission, exigerait déjà que les voisins s’en mêlent… Dans l’hypothèse où l’autonomisation de la Flandre devient une réalité, les Français ne peuvent pas rester insensibles au sort de populations avec lesquelles elle partage langue, culture et souvenirs historiques. Dans leur grande majorité, les Belges francophones ne sont pas « rattachistes», c’est-à-dire partisans d’une intégration de la Wallonie et de Bruxelles dans la République française. Mais ils sont bien conscients que la situation économique dégradée d’une région autrefois prospère ne permettrait pas à une entité francophone indépendante de conserver à ses citoyens le même niveau de vie. La France, en tout état de cause, doit se préparer à toute éventualité.
Elle devra, tout d’abord établir des rapports sereins avec une Flandre indépendante : celle-ci commence dans la banlieue de Lille (Rijsel en néerlandais). La nouvelle Flandre devra aussi renoncer à toute prétention sur les cantons français jadis néerlandophones de la région de Dunkerque. Cela ne devra pas être trop difficile : les liens économiques et les coopérations interrégionales ont pavé le chemin.

Vis-à-vis des francophones, la France officielle devra se garder de deux écueils : l’arrogance et l’insensibilité. L’arrogance consisterait à leur dicter leur destin, dans un sens comme dans un autre, annexion ou abandon. L’insensibilité serait la poursuite de l’aveuglement officiel actuel : il n’y a pas, il ne saurait y avoir de « question belge ».
Un signal de disponibilité à envisager, avec les représentants qualifiés des Wallons et des Bruxellois, les solutions possibles à la crise belge devrait être lancé sans trop tarder. Il aurait comme premier effet de mettre les francophones en meilleure posture dans leurs négociations avec les Flamands, en leur démontrant qu’il y a une alternative, et qu’il n’est pas obligatoire de passer sous leurs fourches caudines. Pour le reste, l’Histoire pourrait, une fois de plus, nous montrer qu’elle ne déteste pas l’inattendu.


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