Chronique d'Alexandre Adler publiée
dans le Figaro du 25 août 2007.

La Belgique va-t-elle demander le divorce ?

Personne ne se souvient plus de la vieille histoire soviétique où un secrétaire de cellule du parti demande à l'une de ses ouailles pourquoi elle n'était pas présente à la dernière réunion. Et la réponse de fuser : « Si j'avais su qu'il s'agissait de la dernière réunion, je serais venue. » Cette histoire a disparu avec la défunte Union soviétique et voici qu'on peut se la poser très sérieusement avec la Belgique. Pourquoi ne fait-on pas attention à l'ultime crise ministérielle qui a amené le roi, pour l'instant, à renoncer à installer un nouveau gouvernement de centre droit ? Tout simplement parce que l'on ne sait pas encore qu'il pourrait bien s'agir de la dernière crise de ce type.

Dans ce long et interminable divorce belge, on en a pourtant fini avec le stade des invectives et des tentatives de réconciliation, la parole est à présent aux avocats des deux bords. Car le véritable ultimatum qu'adressent, unanimes, les partis flamands au Sud français du pays (et non francophone du pays), n'est déjà plus celui d'un partenaire excédé, mais le mandement par huissier d'un adversaire résolu : cette fois-ci, la Flandre demande que l'on coupe les dernières amarres qui faisaient l'État belge, que ce soit en matière de Sécurité sociale, où les Français de Belgique devront rembourser au Nord plus austère leur excès de dépenses de santé, que ce soit en matière de politique étrangère, y compris de Code de la nationalité, que ce soit, bien sûr, en matière de politique économique, où les deux entités devraient se débrouiller essentiellement avec elles-mêmes, sans redistribution véritable. À cette véritable dépêche d'Ems, les partis français ont répondu en décidant de se concerter unanimement entre eux. Lorsque deux entités qui sont censées former un seul État en sont à ce que leurs partis politiques aient sans aucune exception décidé de se réaligner sur des réalités nationales, la Yougoslavie - les optimistes diront la Tchécoslovaquie - n'est en effet pas très loin. Malheureusement, la Belgique ne se situe pas sur une marche frontière quelque peu exotique de l'Europe, mais en son coeur, là où s'édifie tant bien que mal un embryon d'État continental, à Bruxelles.

Dans cette situation, on peut - ce qui fait l'unanimité actuelle des gouvernements voisins incrédules - chercher à tergiverser aussi longtemps que possible afin de conjurer le cauchemar. Même si l'Espagne, en proie à l'affirmation croissante de l'identité catalane, et la Grande-Bretagne, qui craint un peu, sans trop le dire, pour l'Écosse, seront en flèche pour essayer de préserver un paravent quelconque d'État belge, il n'est pas évident que ce soit, au point où nous en sommes parvenus, la moins mauvaise des solutions. Et pour commencer, il faut cesser de diaboliser le nationalisme flamand dont beaucoup de Français ont fini par croire que Jacques Brel avait tout dit sur lui, il y a vingt ans de cela : « Nazi pendant les guerres et catholique entre. » Ce n'est évidemment pas faire justice à l'immense émancipation culturelle flamande qui s'est produite dans les quarante dernières années et nous a donné des artistes exemplaires de langue néerlandaise : le romancier Hugo Claus, les frères Delvaux (ndr: André et Paul n’étaient pas parents), le peintre et le cinéaste, et bien entendu, dans le domaine de l'opéra, Gérard Mortier.

La réalité, c'est que la société flamande, cette petite Bavière maritime, est en proie à un dynamisme économique et social remarquable, ayant réussi sa mutation linguistique, et dispose d'une population exactement équivalente à celles du Danemark ou de la Norvège. Méfiante à l'égard de la Hollande voisine, la Flandre indépendante serait en fait, assez vite, le plus francophile et le plus latin des États germaniques de l'Europe du Nord. Le dogme de la diplomatie française consistant à tout faire pour maintenir la Flandre en Belgique doit donc être révisé d'autant plus vite et radicalement qu'en prenant en main la revendication nationale, les chrétiens sociaux et leurs alliés libéraux et socialistes ont fait reculer l'extrême droite locale (ndr : le Vlaams Belang est malgré tout virtuellement le premier parti de Flandre) aussi efficacement que Sarkozy, en France.

Mais voilà, les Wallons et les Bruxellois n'auront aucune envie de former un État croupion symétrique. Comme chacun devrait le savoir, c'est le 14 Juillet que l'on fête à Liège, c'est à Paris que l'on a sacré Michaux, Marguerite Yourcenar, Simenon et même le prix Nobel de littérature belge, Maurice Maeterlinck, qui jugeait sa langue natale flamande impropre à la littérature. En se choisissant une non-capitale à Namur, en intitulant sa représentation à Paris « communauté française » et non « communauté francophone », nos compatriotes d'outre-Quiévrain nous ont déjà tout dit. Comme Helmut Kohl en 1990, Nicolas Sarkozy a donc toutes les chances de devoir gouverner une France plus grande, un peu appauvrie par la crise industrielle chronique de ses nouvelles régions irrédentistes, et un Parti socialiste certes écrêté de ses élites les plus parisiennes, mais recentré sur la vieille base populaire du Borinage et de la vallée de la Meuse, pour ne pas parler des bobos bruxellois qui valent bien les nôtres.

Qui disait que l'histoire ne nous réservera pas quelques grosses surprises, surtout là où on ne les attendait pas.


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