Echos de Flandre - octobre 2006

On ne peut que s'étonner ou sourire de l'analyse naïve de la plupart des médias flamands qui a suivi les élections du 8 octobre. Celle-ci relève davantage du « wishfull thinking » ou de la méthode Coué. Ainsi, Peter Vandermeersch dans le Standaard (10.10.06) ne peut s'empêcher d'exulter : "Pour la première fois en 13 élections, le Vlaams Belang n'est pas à la fête. Bien plus, il a perdu des voix par rapport au scrutin de 2004. Dans trois villes d'une importance symbolique, la montée de l'extrême droite est pour le moins chahutée. Tout à coup, le parti qui se trouve depuis 20 ans au centre du débat politique paraît moins invincible qu'annoncé." Et de voir une lueur d'espoir dans le fait que les électeurs, que ce soit à Anvers, Gand, Malines, Bruges, Ostende, Louvain ou Hasselt, ont récompensé une saine gou­vernante. Peter de Backer (Nieuwsblad, 10. 10.06) estime que «quand l'électeur est satisfait, il le fait sa­voir. La bonne gestion a été récompensée, y com­pris à Gand où même le VLD tient encore le coup». Mais il s'agit en l'occurrence d'une comparaison vicieuse de deux modes de scrutin totalement diffé­rents, voire opposés. Aux élections municipales, l'électeur choisit davantage une personne de proxi­mité, un candidat qu'il connaît personnellement, par­fois indépendamment des idées qu'il représente. Le côté affectif prend le pas sur la doctrine et les enjeux à long terme.

Yves Desmet, dans le Morgen du même jour, écrit, dans la précipitation, que la croissance du Belang est stoppée dans les grandes villes flamandes. Eric Donckier se fait même péremptoire (Belang van Lim­burg, 10.10.06) : «Le Vlaams Belang a atteint son plafond». Des affirmations gratuites, surtout quand on sait que l'électorat est de plus en plus volatil, passant d'un parti traditionnel au Belang pour le moindre fait divers.

Stefaan Huysentruyt (Tijd, 10. 10.06), pour sa part, se fait plus modéré dans ses commentaires. il est proche de la vérité : « Une hirondelle ne fait pas le printemps, sûrement pas durant l'automne du gou­vernement violet».

Il faut savoir que le Belang a toujours réalisé de meilleurs scores aux élections fédérales qu'aux mu­nicipales. C'est normal, puisqu'il se trouve alors sur son terrain de prédilection : la survie de la Belgique, la défense sans concession du sol flamand (BHV), les avancées en matière institutionnelle, le tout sur fond d'errements grotesques du pouvoir fédéral, comme on l'a encore constaté tout récemment dans le domaine de la Justice et des Finances.

Mais le 8 octobre, tous les regards étaient tournés vers Anvers, la capitale emblématique du mouve­ment flamand qui a vu grandir le Vlaams Blok comme une mérule.

Luc Rademakers (Gazet van Antwerpen, 10. 10.06) fait remarquer que «dans son berceau, le Belang a reçu un uppercut au moral : ce parti peut donc être vaincu».

Luc Van der Kelen, l'éditorialiste chevronné du Laatste Nieuws, n'a pas manqué de rappeler que Patrick Janssens, ce génie de la communication et du marketing, avait promis qu'il serait le cauchemar de Filip Dewinter. Un objectif atteint, selon lui, même si l'on sait que le chef de file SP.A, tout aussi déma­gogue que Dewinter, a principalement phagocyté ses alliés. En effet, les principaux partenaires de la "monstercoalitie" ont perdu des plumes. Le Belang gagne quant à lui quelques voix.

Janssens a mené une campagne quasi présiden­tielle en faisant le moins de références possibles à son parti, le SP.A. Bob Cools, l'ancien bourgmestre socialiste de la Métropole, va dans ce sens tout en donnant une explication lucide de cette victoire in­espérée (Knack, 11. 10.06) : «Les médias ont su­perbement collaboré au succès de Patrick Janssens, mais celui-ci ne doit sûrement pas oublier son parti. Car le Blok n'est pas encore éliminé, hein !» L'analyse correcte de ce scrutin aurait consisté à dire que le Vlaams Belang ne recule pas à Anvers. Dans la proche banlieue de la Métropole, où le vote al­lochtone est moins déterminant, on le voit progresser sensiblement. Des observateurs pensent que les voix des allochtones ont vraisemblablement rem­placé à Anvers celles des ouvriers, l'électorat histori­que des socialistes. Après s'être incrusté dans les grandes villes flamandes, il a entamé son implanta­tion durable dans les campagnes, comme jadis le CVP. On le constate dans le Limbourg, province de prolétaires par excellence, où le Belang double ses voix à Hasselt (13,92 contre 7,81) et augmente for­tement à Genk (16,64 contre 10,06). Dans la péri­phérie bruxelloise, Knack estime que l'on s'ache­mine tout doucement vers une confrontation entre le Vlaams Belang et les francophones. À Vilvorde, le fief du populaire Jean-Luc Dehaene qui avait pris langue avec les francophones, le Belang passe de 13,24 à 21,86% ! Dans l'ensemble de la Flandre, par rapport aux élections communales de 2000, les gains du Belang sont substantiels, allant de 5 à 10%, avec des pointes frôlant les 15% ! Au total, le parti nationaliste a gagné 6,5%, soit plus que le CD&V pourtant annoncé comme le seul grand vainqueur de ce dimanche d'octobre.

Le VLD, le parti du Premier ministre, est évidemment le vrai battu de ce scrutin. Pourtant, son président Bart Somers, fort de son bon score à Malines, a fait une erreur magistrale en réglant ses comp­tes personnels avec Jean-Marie Dedecker. Le bouillant judoka du littoral avait remporté 38% des suffrages contre Somers lors des élections prési­dentielles du parti libéral. Il a commis le crime de jouer avec les pieds d'un ami personnel de Somers, l'an­cien Volksunie Bart Tommelein, tête de file VLD à Ostende. De nombreuses voix au sein du VLD se font déjà entendre pour protester contre l'éviction d'un des hommes politiques les plus populaires de Flandre, une véritable machine à voix. Aux dernières nouvelles, il ne serait pas question pour Dedecker de rejoindre le Belang, ni même VLOTT, le particule de son vieil ami Hugo Coveliers qui a tout de même recueilli 13.623 voix de préférence à Anvers. Il envi­sage de créer un vrai parti libéral, c'est-à-dire un parti clairement ancré à droite, fort éloigné du libéralisme social cher à Guy Verhofstadt et Louis Michel.

Pour l'anecdote révélatrice, citons les propos dés­abusés de la rédactrice du Standaard Mia Doornaert (site www.doorbraak.org) qui se demande bien pour­quoi la VRT fait, jour après jour, la propagande du Vlaams Belang : «Depuis des années, nos médias publics ont purement et simplement interdit le mot Belgique". Tout est devenu "flamand": la côte, le sport, la politique, l'art. Le message qui ressort de cette demande très politique et très consciente, c'est que la Belgique n'est pas un État légitime. Et ce message ne peut apporter du grain à moudre qu'au seul parti qui a inscrit à son programme l'éclatement de cet État». Et la journaliste d'ajouter : «En dispa­raissant, la Volksunie a contaminé tous les grands partis qui eux-mêmes, ou via leur partenaire de car­tel, appuient désormais un crypto-séparatisme mas­qué sous le mot confédératisme. Mais comme les médias et les subsides culturels dépendent de mi­nistres nationalistes flamands (ndlr : les ministres de l'Audiovisuel Geert Bourgeois et de la Culture Bert Anciaux), il est plus prudent d'éviter ce thème».

Enfin, le Laatste Nieuws (10. 10.06.) — après avoir constaté avec une pointe de dépit que le PS de Di Rupo, au pénétrant parfum de scandale, a été trop peu sanctionné par l'électeur wallon — n'a pas raté l'occasion de faire sa manchette de l'interview de Daerden, ce monument du folklore politique wallon «Le passage du ministre wallon Michel Daerden (PS), en état d'ébriété sur les antennes des télévi­sions francophones, n'est pas passé inaperçu. Daerden a visiblement fêté plus que de raison sa victoire à Ans et ses analyses "imperturbables" ("nuchter" signifie à la fois "niais" et "à jeun") connaissent également un succès sur intemet».


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