Echos de Flandre - août 2004

« L'indépendance apportera-t-elle un bénéfice à la Flandre? » C'est le titre d'un dossier paru dans la version néerlandophone de Trends- Tendances du 03/06/04.

Dans leur livre The Size of Nations, les économistes Alberto Alesina et Enrico Spolaore sont partis à la recherche de la taille idéale d'un État. Est-ce que "Big'' est vraiment "Beautifuf'? Plus pour longtemps, pensent-ils. Pour les petites régions (ndir: riches comme la Flandre, bien entendu!), l'indépendance ne sera plus longtemps hors prix. La question ne peut donc être éludée: "Est-ce que la Belgique doit encore exister en 2020? »

Plusieurs personnalités du monde économique flamand, et non des moindres, se sont ruées sur leurs calculettes avant de donner leur avis. C'est le cas de Ludo Verhoeven, patron d'Agfa-Gevaert et président du Voka, l'association du patronat flamand issue de la fusion du VEV et de la Chambre de Commerce flamande.

"Nous évoquions de telles hypothèses depuis des années. La lecture de ce livre est indispensable pour celui qui aborde le débat sur la fédéralisation, l'intégration européenne et le séparatisme d'une manière émotionnelle et sous forme de slogans. Il offre une analyse objective et réaliste ainsi qu'un cadre équilibré mûrement réfléchi pour aborder les futures réformes politiques dans l'Union euro­péenne et dans notre pays. C'est une lecture obligatoire pour tous les participants du Forum sur la réforme de l'État qui se profile après les élections et pour les concepteurs de la construction euro­péenne." ( ... )

Les coûts liés aux différences régionales ont augmenté dans notre pays. Le contexte international rend nécessaires des réformes socio-économiques fondamentales. La Belgique régresse parce que la gestion est immobilisée par de profondes diffé­rences de vision entre la Flandre et la Wallonie. Il est question ici d'un déficit démocratique qui augmente toujours plus. Les conclusions de ce livre sont également pertinentes: il y est démontré que les processus de régionalisation ont souvent raté leur objectif en Belgique, dans la mesure où ils ont conduit à des politiques caractérisées par leur inefficacité et des transferts dispendieux. C'est en cela que la théorie de "coûts de l'hétérogénéité" (ndlr: le prix qu'un État doit payer pour aplanir les différences socio-économiques entre deux, voire plusieurs régions) constitue une pierre de touche en faveur d'une sécession."

D'autres patrons flamands se sont exprimés dans le même sens. Franc Crols, directeur du périodique Trends-Tendances: "Le groupe de réflexion De Warande, réuni autour de l'ex-patron de la KBC Remi Vermeiren, étudie une possible sécession de la Flandre. Dans les deux mois, 30 financiers, des têtes pensantes de centres d'études, des en­trepreneurs et des consultants se réuniront discrètement autour d'une table. En 2004, ils se pencheront sur le «pourquoi" d'une indépendance de la Flandre. L’année suivante sur le "comment". Le groupe de réflexion fera un brainstorming, com­mandera des études et exhumera des avis anciens, dont il résultera en bout de course un rapport. Le groupe de réflexion se penche sur des faits inconnus de l'opinion publique et que la classe politique européenne préfère cacher. Ainsi, parmi les 10 pays les plus riches du monde (en termes de PIB par tête d’habftant). il n y en a que 2 de plus de 5 millions d’habitants - les USA avec 260 millions et la Suisse avec 7 millions -, 2 pays ont une population qui se situe entre 1 et 4 millions d’habitants, les 6 autres ont moins d'1 million d’habitants- Plus de la moitié des 193 pays du monde ont moins d'habitants que la Flandre avec ses 6 millions d'habitants."

Remi Vermeiren, l'ancien patron de choc de la KBC. "La fédéralisation dans l'acception belge et européenne du mot constitue une bonne tentative de contrer "l'hétérogénéité". Mais quand cette régionalisation est incomplète, incohérente et imparfaite, on ajoute encore à l'hétérogénéité de base l'hétérogénéité des niveaux de décision. C'est comme cela que la fédéralisation se transforme en coup d'épée dans l'eau. De cette manière, nous continuons à souffrir d'inefficacité et d'un déficit en capital social. L'Union européenne va récupérer des missions de la Belgique comme la défense et les affaires étrangères. L'union européenne, en réa­lisant une vaste zone de libre échange ainsi qu'une union monétaire, a donné à de plus petits pays européens une perspective complètement diffé­rente pour ce qui concerne leur viabilité (ndlr: en tant qu'État indépendant).

Hugo Vandamme, le Pdg du puissant Roularta Media Group, celui qui a rendu Le Vif-L’Express plus insipide que jamais sur le plan politique: "Ce qui est important, c'est que nous, les chefs d'entreprise régionaux, puissions décider nous-mêmes combien de temps nous voulons travailler. La Wallonie n'est pas obligée de suivre notre flexibilité sur le marché du travail mais elle ne doit pas non plus nous contrecarrer."

On pense à ce bourgmestre CD&V de Herselt qui, tout comme Hugo Coveliers l'an passé, exige que les chômeurs "méritent" leurs allocations en effectuant des tâches d'intérêt général (Morgen, 07/08/04). Ou à ces patrons nordistes qui rêvent de revenir à la semaine des 40 heures. Or, chaque année, les Français travaillent 100 heures de moins que les Belges...

Bart Verhaeghe, patron d'Eurinpro: "La même chose vaut pour la sécurité sociale qui sera un jour impayable. J'espère que, dans le futur, les hommes politiques oseront aussi ouvrir le débat. Dans le cas contraire, une scission sera nécessaire. Je pense qu'il existe une différence de culture fondamentale. 50 % des Wallons travaillent dans le secteur public. Là-bas, c'est une autre conception de l'État qui préside."

Pour compléter son information, on se référera au dossier paru dans la version francophone de Trends-Tendances du 17/06/04: « Le retour du nationalisme flamand: la Wallonie peut-elle vivre sans la Flandre? »

La conclusion apparaît en filigrane: en pleine restructuration, la Wallonie ne pourrait pas, seule, offrir un avenir décent à sa population. Comme ne l'aurait pas pu la Flandre, il y a à peine 50 ans. Un argument de plus en faveur de la réunion de la Wallonie à la France, en cas de sécession flamande (et, selon d'aucuns, dans tous les cas de figure)?

La Gazet van Antwerpen du 30/07/04 n'a pas hésité à titrer sur deux pages: "La Flandre est pillée depuis 174 ans!". C'est le professeur Juul Hannes, professeur émérite des Universités de Gand et de Bruxelles et responsable des Archives libérales, qui l'affirme dans une étude. La pauvre Flandre du XIXe siècle transférait déjà de l'argent vers la riche Wallonie, via les impôts sur les personnes physiques et les entreprises mais aussi par les droits de succession. "Cela fait 40 ans que je cherche des exemples de solidarité du sud vers le nord. Je n'en ai jamais trouvé." Le but recherché? Réduire à néant l'argument de Van Cauwenberghe disant que la solidarité ne s'était pas toujours déroulée dans le sens nord-sud. La conclusion de Hannes: les Flamands sont victimes d'un hold-up permanent. Et ce proche du VLD de conclure: "La Belgique crèvera (sic) lorsque les francophones seront obligés de ristourner un centime à la Flandre."

Même les (soi-disant) modérés en rajoutent une couche. Ainsi, Herman De Croo, l'inamovible président de la Chambre (Knack, 11 /08/04): "Le PS doit faire attention de ne pas utiliser le système belge pour conserver sa clientèle. Pour de nombreux Wallons, le PS constitue une assurance-vie aux frais des Flamands. Les socialistes wallons doivent savoir qu'ils ne peuvent plus continuer à claquer les moyens financiers que les Flamands leur apportent " Avec cet étonnant bémol : "Pourtant, l'honnêteté m'oblige à dire que de nombreux laboratoires cliniques wallons qui pratiquent des prix élevés sont aux mains d'entrepreneurs flamands."

Le "Renard de Brakel" prévoit dès la rentrée de grandes palabres communautaires, la scission de Bruxelles-Hal-Vilvorde ainsi que l'échec à court terme des gouvernements asymétriques.

Cet autre "modéré" qu'est Frank Vandenbroucke (Standaard, 27-28/06/04) est passé au gou­vernement flamand. Il dit ne pas vouloir d'une réforme de l'État qui s'assimilerait à un raid viking (sic). Son mode d'emploi pour réussir les négociations communautaires: fermeté, patience et sérénité. Il faut convaincre les Wallons que la régionalisation des allocations de chômage (son leitmotiv actuel) leur sera également bénéfique. A la question de savoir si le financement de ces allocations doit rester fédéral, Vandenbroucke laisse planer un silence lourd d'hypothèques. Il conclut en disant qu'il s'entend comme larrons en foire avec Vande Lanotte resté au fédéral. C'est l'illustration classique du lent travail de sape des hommes politiques flamands qui jouent toujours gagnants, la Flandre utilisant à son profit un sous-marin fédéral. Il est vrai que son président Steve Stevaert y est également allé de sa petite phrase assassine (Morgen, 30/06/04)«. "Je n'ai aucun problème avec des positions qui vont plus loin que les cinq résolutions votées par le parlement flamand pour autant qu'elles apportent plus de justice sociale et plus de travail?' A qui? Mystère...

Rik Van Cauwelaert (Knack, 28/07/04) prédit à Verhofstadt des moments difficiles. Dès l'amorce du débat budgétaire qui aura lieu en septembre. La Flandre en a marre de contribuer seule au renflouement des caisses de l'État fédéral. Sera-ce là une des "monnaies d'échange" lors du Forum institutionnel? Et l'éditorialiste de citer un ponte du parti socialiste flamand soucieux de conserver l'anonymat: "Nous sommes disposés à payer jusqu'en 2010 pour le chômage en Wallonie pour autant que celle-ci prenne des mesures pour le combattre". Pour sa part, Eric Van Rompuy (CD& V) a déjà menacé de faire tomber le gouvernement flamand si la scission de Bruxelles-Hal-Vilvorde ne se concrétisait pas d'ici la fin de l'année. Et avec lui le gouvernement fédéral!

Peter Vandermeersch (Standaard, 20/07/04) estime que le gouvernement Verhofstadt est réduit à un bureau de placement, vu le nombre de ses ministres partis sous des cieux plus cléments. N'est-ce pas, Louis Michel? Selon le journaliste, il devient de plus en plus clair que deux dynamiques différentes, celle de la Belgique et celle de la Flandre, mènent tout droit à la collision frontale.

Terminons par quelques anecdotes révélatrices de l'état d'esprit qui règne "au nord du pays". Le Tijd (31/07/04) a publié sur la terrible catastrophe de Ghislenghien un dessin qui se voulait humoristique (?). Avec la légende suivante: "Explosive Wallonie: là-bas nous n'avons pas besoin d Ai Qaïda".

Le Standaard (08/08/04) a donné une pleine page sur les attractions d'un jour en Belgique et aux Pays-Bas. Eh bien, la carte qui illustre le sujet inclut le Brabant dans la Flandre. Peut-être à destination de ces quelques naïfs du sud qui croient encore que l'État flamand en gestation s'arrêtera à sa frontière (linguistique) actuelle. Sachez que nos charmants voisins se verraient bien faire main basse sur le riche Brabant wallon (voyez le zoning industriel de Wavre aux panneaux parfois unilingues flamands!), voire Dunkerque et ses villages d'alentour qui perpétuent les bribes d'un parler thiois.

Dans le même esprit, la VRT a vexé Jean-Claude Defossé en dédaignant son documentaire si le Vlaams Blok. Bien entendu, aucun média franco­phone n'a répercuté ce fait extrêmement révélateur.

Enfin, on apprendra sans surprise qu'une maison ardennaise sur cinq est acquise par un néerlandophone.


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