La loi spéciale de financement, signe avant-coureur du confédéralisme ?

La loi spéciale de financement, signe avant-coureur du confédéralisme ?
Lode De Waele
Professeur adjoint à l’Université d’Utrecht et membre du think tank Eleni
Article du Knack, 16 janvier 2023

Lode De Waele, du groupe de réflexion Eleni, réfléchit à l’impact de la loi spéciale de financement, qui régit les flux financiers vers les entités fédérales (communautés et régions).

La situation financière précaire de la région wallonne n’est pas nouvelle. Récemment, Belfius, le principal banquier de la Région wallonne, a indiqué qu’il ne prolongerait son contrat actuel que pour un maximum de deux ans. Plus précisément, le contrat énumère pour la première fois des conditions, alors qu’il n’y a plus d’autres candidats pour jouer le rôle de banquier de la maison. Ainsi, les marchés financiers semblent peu confiants dans la situation financière désastreuse de la Wallonie, la montée du PTB d’extrême gauche ajoutant sans doute à la complexité de la situation.

De l’autre côté de la frontière linguistique, Bart De Wever est déjà prêt à profiter de la situation financière précaire de la Wallonie pour réaliser le confédéralisme lors de la prochaine formation du gouvernement, un autre rendez-vous avec l’histoire. Cependant, la situation politique de ce pays est très liée au contexte institutionnel qui détermine le mode de financement des entités fédérales au niveau de la politique fédérale. Ceci est contenu dans la loi spéciale de financement. Mais qu’est-ce que cette loi implique exactement, quel est son impact sur la situation politique actuelle et future du pays, et pourrait-elle finalement mener au confédéralisme ?

La loi spéciale de financement de 1989 [ndr : très mal négociée par les francophones] stipule comment les entités fédérales belges acquièrent des revenus pour exercer leurs compétences. Cette loi a été modifiée au cours de plusieurs réformes des États, l’autonomie fiscale des entités fédérales s’étant considérablement accrue au fil du temps. Cette loi a ensuite déterminé les clés de répartition pour financer les transferts successifs de compétences aux entités fédérales qui sont apparus à la suite des différentes réformes étatiques.

Lors de la cinquième réforme relative aux entités fédérales, connue sous le nom d’accord du Lambermont, l’autonomie fiscale a encore été étendue en permettant à celles-ci de modifier les taux de l’impôt sur le revenu des personnes physiques dans une mesure limitée. Par conséquent, l’impôt sur le revenu des personnes physiques est devenu un impôt global. Il s’agit d’un impôt prélevé uniformément sur l’ensemble du territoire du Royaume, une certaine partie des recettes étant allouée aux régions. Les régions pourraient déterminer des surtaxes ou accorder des rabais sur l’impôt sur le revenu des personnes physiques, qui est perçu au niveau fédéral.

L’un des plus grands défis de la réforme de l’État était de faire en sorte que la situation économique des entités fédérales converge autant que possible. En effet, des différences trop importantes entre les entités seraient préjudiciables à moyen terme en menaçant d’effets d’entraînement négatifs sur les autres régions plus performantes. À cette fin, un mécanisme de responsabilisation a été prévu, selon lequel certaines allocations ont été distribuées sur la base de la capacité fiscale (le principe du juste retour). Cela signifie que les États qui mènent une bonne politique économique sont récompensés pour cela en pouvant prétendre à une part plus importante des allocations.

Toutefois, comme il existait un écart important entre la croissance économique des entités fédérales, une phase de transition était initialement prévue, au cours de laquelle les régions les plus performantes devaient transférer une partie de leurs revenus à celles moins performantes.

Cette intervention solidaire a été considérablement réduite lors de la dernière réforme de l’État (l’Accord Papillon/Di Rupo). La Région wallonne, en particulier, a perdu beaucoup de ressources dans le cadre de la nouvelle loi de financement. Afin d’atténuer la perte financière, une mesure transitoire, appelée « plinthe », a de nouveau été prévue. Le consensus a été de faire en sorte que le mécanisme transitoire s’éteigne complètement après 20 ans (d’ici 2032), après quoi les mécanismes de la loi de financement seraient pleinement ressentis par toutes les régions. Les 10 premiers prévoyaient une dotation qui restait constante en termes nominaux, indépendamment de l’inflation et de la croissance économique, puis diminuait linéairement à partir de 2022. Les effets se feront donc pleinement sentir maintenant.

Concrètement, la Région flamande serait la seule région à « gagner » dans le cadre de la loi spéciale de financement actuelle. Grâce au mécanisme transitoire, la Flandre a obtenu environ 291 millions d’euros de moins que ce qui découlait des mécanismes de calcul de la nouvelle loi. En conséquence, la Flandre a reçu 291 millions d’euros de moins pendant dix ans. Dans le même temps, la Région de Bruxelles-Capitale et la Région wallonne ont reçu respectivement 14 et 641 millions d’euros de plus. Un mécanisme similaire s’applique aux communautés.

Les effets de la dernière réforme de l’État ont été calculés à l’aide du modèle SAFIRE de la KULeuven. Il s’agit d’un modèle de simulation qui examine en détail la nouvelle loi de financement sur une période de 2015 à 2030 et qui permet de comparer les résultats de l’ancienne et de la nouvelle loi de financement. Les effets des différentes études ont été comparés et tous montrent clairement la même tendance : la Flandre gagne généralement des fonds, tandis que les autres entités fédérales ont tendance à en perdre. Avec les inondations catastrophiques en Wallonie et les chiffres de la croissance économique structurellement moins favorables, cela compliquera considérablement la situation financière actuelle de la Wallonie dans les années à venir. Il est donc quelque peu compréhensible que Belfius ait des réticences.

En 1988, le regretté Hugo Schiltz déclarait à propos de la loi spéciale de financement : « Cette loi spéciale de financement annonce la fin de la Belgique ». A politique inchangée, on peut logiquement s’attendre à ce que les besoins financiers de la Région wallonne (et aussi de Bruxelles) lors de la prochaine législature soient si précaires que le confédéralisme est plus proche que jamais.

Il y a une réelle chance que, en échange de compensations budgétaires de la Flandre, le PS souscrive à la logique confédérale. La question politique fondamentale est donc, bien sûr, de savoir si cela constituera ou non une amélioration. Après tout, une détérioration de la situation économique dans une entité fédérale affectera aussi fortement la croissance économique de l’autre entité, sans compter la situation déjà très complexe à Bruxelles. Néanmoins, il y a eu tellement de mesures transitoires que les régions ont eu de nombreuses occasions d’ajuster leurs politiques économiques au cours des dernières décennies. Il est donc essentiel que le gouvernement fédéral fasse preuve d’esprit de décision administrative en élaborant des réformes substantielles qui pourront ensuite avoir un impact positif sur la situation budgétaire de ces entités.

À cet égard, les réformes du marché du travail et des retraites sont cruciales. Après tout, il est fort probable que la prochaine législature se traduise par une incertitude institutionnelle beaucoup plus grande, qui se fera finalement de plus en plus sentir en Flandre également.