Article d’Ewald Pironet publié et revu ce jour sur le site du Knack
L’échange WhatsApp sur lequel Knack a pu mettre la main montre que le cabinet du Premier ministre Alexander De Croo (Open VLD) a effectivement approuvé le budget tel qu’il avait été initialement présenté par la secrétaire d’État au budget Eva De Bleeker (Open VLD). Le Premier ministre n’a cessé de le nier ces dernières semaines. La semaine dernière, il a même nié l’existence des messages WhatsApp. Voici la chronologie de l’évolution de la discussion après la présentation du budget par De Bleeker le 10 novembre.
Lundi 14 novembre, la commission des finances de la Chambre des représentants examinera le budget 2023 terminé, qui avait été diffusé le 10 novembre. Le député Sander Loones (N-VA) a noté que le déficit constaté était supérieur de 1,3 milliard d’euros à ce que le Premier ministre Alexander De Croo (Open VLD) avait déclaré dans son discours sur l’état de l’Union un mois plus tôt, le mardi 11 octobre. Cela signifie que le déficit de la Belgique en 2023 n’est pas de 5,8 mais de 6,1 pour cent du produit intérieur brut (PIB). La Belgique aura ainsi le plus grand déficit budgétaire de tous les pays de l’UE.
Comment se fait-il que le déficit augmente de 1,3 milliard ? La secrétaire d’État au budget Eva De Bleeker (Open VLD) inclut le coût de la réduction de la TVA pour le gaz et l’électricité dans les « notes explicatives générales des budgets des recettes et des dépenses pour l’exercice 2023 », mais pas la compensation prévue qu’une réforme des accises est censée apporter. Elle explique que la réduction de la TVA est une politique certaine, tandis que la réforme des accises doit encore être mise en œuvre et est incertaine. Elle s’appuie pour cela sur la loi-programme du 28 octobre. Elle précise que la réforme des accises ne pourra entrer en vigueur que lorsque les prix de l’énergie auront suffisamment baissé. Et il est loin d’être certain qu’ils tomberont de façon importante, bien au contraire.
Mardi 15 novembre, Open VLD et, en particulier, le Premier ministre De Croo et le président du parti Egbert Lachaert suscitent une certaine nervosité à propos du déficit du budget livré, qui, selon De Bleeker, a augmenté, et surtout de ses conséquences. Cela signifie non seulement que la Belgique aura le plus gros déficit de tous les pays de l’UE, mais aussi que la réduction de la TVA entraînera un déficit plus important. Et ce alors que De Croo affirme toujours que la réduction de la TVA est budgétairement neutre, c’est-à-dire qu’elle ne coûtera rien au trésor public grâce à une augmentation des droits d’accises.
Il s’ensuit une discussion à laquelle participent non seulement Lachaert, De Croo et De Bleeker, mais aussi le vice-premier ministre Vincent Van Quickenborne (Open VLD), auquel De Bleeker est attaché en tant que secrétaire d’État. Leurs quatre chefs de cabinet les rejoignent également.
De Bleeker et son chef de cabinet, Lieve Schuermans, vont voir leurs arguments balayés. Selon le premier ministre, ses conseillers budgétaires ont fait remarquer au cabinet de De Bleeker que l’interprétation de la réduction de la TVA s’écartait de l’accord politique au sein du gouvernement De Croo. De Bleeker et Schuermans se défendent en soulignant que les conseillers budgétaires de De Croo et Van Quickenborne ont donné leur accord avant que le budget ne soit soumis au Parlement et que tous les autres cabinets n’avaient pas fait de commentaires.
Lachaert avance un autre argument. Il estime qu’un ajustement budgétaire aussi important ne devrait pas être géré par les membres du cabinet, mais par les ministres eux-mêmes. De Bleeker et Schuermans auraient donc dû contacter le Premier ministre De Croo. Le fait qu’ils ne l’ont pas fait leur est également reproché. C’est intéressant, car les membres du cabinet de De Croo concernés auraient également pu impliquer le premier ministre. En outre, un ministre, et donc le Premier ministre, est politiquement responsable de ce qui se passe dans son cabinet. Si un membre du cabinet du premier ministre marque son accord sur le le budget, l’ensemble du cabinet accepte le budget.
Dans la soirée, le cabinet De Croo a fait savoir qu’il y avait une « erreur matérielle » dans le budget présenté par De Bleeker et qu’elle devait être rectifiée. Schuermans et De Bleeker devraient ajuster l’estimation de la baisse de la TVA sur l’énergie.
Mercredi (16 novembre), le cabinet De Bleeker travaillera avec l’administration pour réduire les estimations de la TVA et ramener le déficit à 5,8 % du PIB. Cela nécessitera d’ajuster toute une série de tableaux et met en difficulté le chef de cabinet Schuermans, qui démissionne. À la demande de De Bleeker, elle fait quand même le travail, mais elle démissionnera elle aussi par la suite.
La position de De Bleeker fait également l’objet de discussions à ce moment, mais lorsque les journalistes confrontent le président Lachaert à ce sujet, il en rit.
Le jeudi 17 novembre, le budget sera ajusté. Dans l’hémicycle, De Croo, en présence du secrétaire d’État De Bleeker, déclare qu’il y a « une erreur matérielle » dans le budget, qu’il « regrette » : « Nous devons éviter ce genre d’erreur et nous veillerons à ce que cela ne se reproduise pas. »
Selon certains, Lachaert a contacté Alexia Bertrand (MR) ce jeudi pour lui demander si elle pouvait être disponible pour remplacer De Bleeker. Bertrand est l’ancien chef de cabinet de Didier Reynders (MR) et chef de l’opposition au Parlement de Bruxelles. Elle entretient depuis longtemps de bons contacts avec Lachaert et De Croo.
Ce jeudi encore, dans la soirée – il est presque minuit – la version révisée des documents budgétaires est distribuée. Il contient des erreurs d’addition flagrantes, sans aucun rapport avec la réduction de la TVA sur l’énergie. De Bleeker et son équipe sont stupéfaits par ces erreurs d’addition. Il s’avère que lors de la suppression d’une ligne dans un tableau Excel, certains liens avec des cellules cachées sont brisés, ce qui rend les sous-totaux incorrects. Il s’agissait d’une erreur humaine commise par l’administration sous une forte pression temporelle, mais non remarquée par les cabinets.
Le vendredi 18 novembre, De Bleeker sera absent pour le conseil des ministres. Le personnel témoigne que lorsqu’elle se présente à son cabinet le matin, elle doit s’allonger car elle est malade, suite au stress causé par ce dossier.
Dans l’après-midi, De Bleeker doit se présenter au siège de l’Open VLD, rue Melsens. Là, Lachaert lui fait comprendre qu’elle doit démissionner. Elle se débat encore un peu, mais après des promesses concernant son avenir, elle accepte. Avant même que De Bleeker ne puisse prononcer un discours d’adieu aux membres de son cabinet, le Palais annonce que Bertrand prêtera serment en tant que nouveau secrétaire d’État au budget.
Une semaine plus tard, le samedi 26 novembre, le journal économique De Tijd a publié une reconstitution de l’agitation autour du budget et du remplacement de De Bleeker par Bertrand. Le journal y parle d’une « semaine catastrophique bleue ».
Cet article contient un passage sur ce qui s’est passé le mardi 15 novembre, lorsque Lachaert, De Croo, De Bleeker, Van Quickenborne et leurs quatre chefs de cabinet se sont rencontrés. Comme nous l’avons mentionné, Mme De Bleeker et son chef de cabinet, M. Schuermans, en font les frais car ils ont imputé le coût de la réduction de la TVA sur le gaz et l’électricité, ce qui a entraîné l’augmentation du déficit budgétaire. Ils se défendent en disant que les conseillers budgétaires de De Croo et Van Quickenborne avaient donné leur feu vert au budget avant sa soumission au parlement.
A ce sujet, De Tijd écrit : « Mais à propos de ce feu vert, c’est parole contre parole. Selon le cabinet du premier ministre, ses conseillers budgétaires ont effectivement soulevé la question du fait que l’interprétation de la réduction de la TVA s’écartait de l’accord politique de Vivaldi.
Ce samedi 26 novembre, Kris Van Cauter publie sur LinkedIn un message remarquable sur la reconstruction telle que décrite dans De Tijd. M. Van Cauter est décrit comme un brillant expert financier au département des comptes nationaux et régionaux et de la conjoncture de la Banque nationale de Belgique. Il a déjà supervisé la réforme de la comptabilité publique. En mars 2022, Van Cauter a été installé par arrêté royal comme président du comité scientifique des comptes publics. Il devient ensuite conseiller à l’unité de politique budgétaire du cabinet De Bleeker.
Le message que Van Cauter publie sur sa page LinkedIn est clair : « Compte rendu assez correct (dans De Tijd) des événements de la semaine passée, seulement en ce qui concerne le Comité de lecture ce n’est pas mot contre mot, mais le Cabinet (du Premier ministre) a explicitement donné son accord via WhatsApp pour la version avec la réduction de charge de 1,3 milliards et cela signifie que le Premier ministre lui-même a approuvé la première version livrée au parlement.
M. Van Cauter affirme donc que le cabinet du premier ministre a approuvé le budget dans lequel la réduction de la TVA a entraîné un déficit plus important de 1,3 milliard cette année et de 1,7 milliard l’année prochaine, ce qui a mis Mme De Bleeker dans l’embarras et a conduit à sa démission.
Dimanche 27 novembre, un porte-parole du Premier ministre De Croo a formellement démenti que son cabinet avait accepté le budget 2023 tel qu’il avait été initialement soumis au Parlement par le secrétaire d’État au budget de l’époque, De Bleeker. Nous avons notifié en temps utile l’existence d’erreurs dans l’exposé des motifs du budget, ce qui signifie que l’exposé des motifs ne correspondait pas aux notifications budgétaires ni aux lois d’exécution du budget », indique le bureau du Premier ministre. Il s’agit notamment d’un extrait d’une conversation WhatsApp présenté comme une preuve, mais comme il ne s’agit pas de la conversation complète et que le contexte n’est pas clair, des doutes subsistent. Ce n’est que maintenant que Knack a pu voir l’intégralité de la conversation que la communication devient claire.
En vertu du principe de gouvernement ouvert, le député Loones, dans une lettre datée du 27 novembre, demande au Premier ministre « l’accès aux communications entre votre cabinet et le cabinet du secrétaire d’État de l’époque, M. De Bleeker, via WhatsApp ou d’autres moyens » concernant la première version du budget. Il n’y a pas eu de réponse.
Le mercredi 7 décembre, M. Loones a de nouveau posé des questions au Premier ministre devant la commission des affaires intérieures de la Chambre des représentants au sujet des messages WhatsApp. Le rapport préliminaire indique : « En outre, l’intervenant (Loones) souhaite obtenir des éclaircissements sur les messages WhatsApp susmentionnés. (…) Un des hauts responsables de la cellule politique du ministre d’État au budget (a affirmé) que la cellule politique du Premier ministre avait effectivement donné son accord à la présentation de ce budget via des messages WhatsApp. Le Premier ministre a répondu dans les médias qu’il n’y avait pas de messages WhatsApp. Cependant, des journalistes ont dit à l’orateur que des messages WhatsApp leur ont été montrés. Le Premier ministre a également déclaré que, dans le cadre de la procédure de notification officielle, des observations ont été faites à la secrétaire d’État au budget de l’époque. L’orateur appelle à la transparence et veut voir non seulement ces notifications mais aussi les messages WhatsApp ».
Le rapport préliminaire comprend également la réponse du Premier ministre De Croo : « Certains des commentaires de M. Loones se basent sur des analyses des médias. Il est difficile d’y apporter une réponse. Le Premier ministre souligne toutefois que sa cellule politique a indiqué par les canaux habituels que les documents budgétaires devaient être élaborés conformément aux décisions du gouvernement. En discutant des autres formes de communication, M. Loones demande la preuve de quelque chose qui n’a pas eu lieu. Ce n’est pas évident.
Il est clair que par « autres formes de communication « , le Premier ministre fait référence aux messages WhatsApp, ce qui, selon lui, « n’a pas eu lieu « . Le fait que le premier ministre continue de nier l’existence des messages WhatsApp en choque plus d’un.
Entre-temps, Knack est entré en possession de la série complète de messages WhatsApp envoyés le mercredi 9 novembre entre Kris Van Cauter du cabinet du Secrétaire d’État au Budget De Bleeker et le responsable du budget du cabinet du Premier ministre De Croo. S’adressant à Knack, Van Cauter est formel : « Il s’agit bien de tous les messages WhatsApp entre le cabinet De Bleeker et le cabinet du Premier ministre au sujet du budget soumis et diffusé par le secrétaire d’État De Bleeker le 10 novembre, auxquels j’ai fait référence dans mon message sur LinkedIn.