La révolution : avec ou sans mayonnaise ? - 20 février 2011

Carte blanche de Pierre-René Mélon, responsable de Liège et écrivain
(illustration : numéro spécial du Vif du 18 février 2011)

La "révolution de la frite" ne fut pas une révolution. Juste une guindaille (belgicisme) d'étudiants rigolards.
Dans ce pays sans culture du débat, sans épaisseur historique, sans vision d'avenir, toute tentative de bouleversement de l’État - c'est-à-dire toute révolution digne de ce nom - ne peut qu'être vouée à la triple malédiction de l'auto-dérision, de l'enfermement festif et du déni de réalité.
Pour réussir une révolution, il faut d'abord être révolutionnaire, en un mot vouloir renverser le régime en place et en instaurer un autre. Or, que veulent nos révolutionnaires de pacotille ? Conserver l’État, préserver la monarchie et toucher le moins possible aux institutions, quitte à revenir au bon vieux temps de la "circonscription fédérale".
Posons donc le diagnostic : toute révolution est impossible en Belgique pour la simple raison qu'il y manque l'essentiel : les mots pour la dire.
 
Et pourquoi donc le Belge est-il incapable de prononcer les mots libérateurs? Pourquoi nos révolutionnaires de cabaret semblent-ils voués aux actes symboliques et aux festoiements dérisoires ? Et pourquoi, toujours, cette référence incantatoire à un surréalisme en toc ?
 
Parce que le Belge versant sud vit sous un impératif catégorique qui lui interdit d'affronter son prochain sous peine de mort politique. Son prochain? Cet étrange Flamand qui veut le quitter dans l'amertume et le reproche. La culture ancestrale de l'évitement du conflit a développé chez le Belge francophone un réflexe d’omerta qui ne cède aujourd'hui que pied à pied sous la formidable pression de la radicalité flamande. La parole qui dit simplement les choses ne s'échappe que par les fissures de la peur.
 
Le Belge étiqueté "magrittien" ne transfigure pas le réel : il le nie, il le fuit, il le vilipende. Pourquoi ? Parce qu'il sait inconsciemment que toute prise directe sur les choses qui fâchent, toute liberté de parole salvatrice envers les Flamands leur sera payée en retour par une poussée de revendications nouvelles (nos compatriotes du nord n'ont pas les mêmes délicatesses pour exprimer leurs volontés).
 
Nos bons Belges sont dépassés parce qu'ils ont été éduqués dans le respect dogmatique et concélébré des "différences qui nous enrichissent" (on cherche encore comment) et des vertus insurpassables du "modèle belge de cohabitation pacifique" (sic). Parce qu'ils ont été élevés dans les éprouvettes du "laboratoire de l'Europe" dans lesquelles le monde entier nous regarde expérimenter les délices du "vivrensemble" (copyright RTL).
 
Bref, puisque toute revendication libératrice pourrait accroître son sentiment de culpabilité et déchaîner les forces adverses, puisque toute parole vraie risquerait d'anticiper la fin du pays (qu'on se représente comme une espèce de fin du monde), puisqu'il faut décidément éviter de "mettre de l'huile sur le feu", le Belge torturé met de l'huile dans... la friteuse ; au lieu de sang frais, il se tache de ketchup.
 
Suivant cette logique du non-dit, on peut prédire que tout bouleversement politique futur sera au préalable enrobé de mayonnaise. Le changement de régime sera paisiblement mastiqué, dégluti et digéré avant que les citoyens aient pu mettre un mot sur la chose qu'ils étaient en train d'avaler. L'exact contraire de la supposée transparence démocratique.
 
La Belgique avance donc vers son destin final à contre-coeur, à reculons, par petits pas, en se tordant le cou pour regarder par-dessus son épaule.
Elle tombera sans doute sur une épluchure de Loi ou un croc-en-jambe comptable.
Bêtement. Sans gloire. 


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