Redonner du sens à l’Europe le 7 juin - 22 mai 2009

Carte blanche de Paul-Henry Gendebien, Président du R.W.F.

Aux yeux des « enfants de la guerre », l'Europe représentait un immense espoir après un conflit dévastateur et en face des inquiétudes nées de la guerre froide.

Elle était aussi un projet né d'un patrimoine exceptionnel - une civilisation une et diverse, une société de liberté et de progrès social - et une volonté collective de préparer un avenir meilleur.

Aujourd’hui, les dirigeants au pouvoir on délaissé le rêve des peuples fondateurs.

Droite officielle et gauche institutionnelle se sont coalisées pour ramener la construction européenne au rang d'une morne résignation : l’approfondissement a fait place à l'euphorie des élargissements, provoquant sa dilution dans une vaste zone de libre-échange aux contours indéfinis.
Et pour couronner le tout, une complaisance servile à l'égard de la candidature turque a achevé de semer le doute et la méfiance dans l'esprit public.

Les candidats des vieux partis vont nous abreuver de leurs promesses rituelles : ils vont régler les problèmes qu’ils ont eux-mêmes créés et, en l'occurrence, combler le déficit démocratique de l'Europe. Demandons-leur pourquoi ils refusent systématiquement tout référendum chez nous lorsqu’une décision majeure se prépare, qu'il s'agisse du Traité dit constitutionnel ou de l'adhésion de nouveaux pays. Demandons-leur pourquoi ils encouragent la Commission lorsque celle-ci s'ingénie à manipuler la démocratie (voir le cas du "non" irlandais) avec pressions à l’appui pour obtenir un nouveau vote ? Quant à la Commission, son arrogance élitiste ne l'empêche pas d'adopter le profil bas du spectateur face à la crise. On ne la voit pas, on ne l'entend pas. Il est vrai que la personnalité effacée de la plupart des Commissaires n'est pas de nature à corriger la profonde déception des citoyens à l'endroit d'une institution dont il faudra bien revoir la fonction dans l'architecture de l'Union.

Les dérégulations orchestrées par la Commission, notamment au détriment des Services publics tels que la Poste, ont grignoté les acquis de la social-démocratie et commencé à menacer la sécurité des classes ouvrières et moyennes salariées. La concurrence la plus effrénée entre les régions a été tolérée par Bruxelles, au point de porter atteinte à leur cohésion. Et l'Europe a également contribué à l'affaiblissement des démocraties nationales en réduisant leurs Parlement à des Chambres d'entérinement des directives.

Cette Europe-là n'est que le fruit de l'alliance de deux internationalismes - le libéral et le socialiste - dont le fonds commun réside dans la primauté de l'économico-commercial sur le politique. Funeste illusion qui s'est heurtée à la crise, une crise qui révèle au contraire le primat de la politique c'est-à-dire de la décision. L'Europe n'a-t-elle pas dévié en s'ouvrant sans réserve et sans précaution au grand vent de la mondialisation ? N'a-t-elle pas ainsi enseigné une certaine idéologie du fatalisme inactif masqué par un interventionnisme tatillon trahissant de la sorte son désir de se retirer de l'Histoire ?

Réajuster les institutions

Que faire ? Pour s'en tenir ici à l’essentiel, il y a une ardente obligation, pour l'Union, d'inventer une structure institutionnelle intermédiaire entre celle de nos « vieux » Etats souverains et celle du « jeune » super-Etat fédéral à l'américaine, afin de combiner les vertus des deux expériences et non leurs défauts. La meilleure formule sera celle qui conciliera la nécessité d'une action commune et le respect des identités nationales particulières auxquelles nos peuples sont viscéralement attachés.

Ainsi reconstituée à partir d'un réajustement de ses pouvoirs et notamment par une remise à sa bonne place administrative d'une Commission à l'intersection des Gouvernements et du Parlement, l'Union sera mieux à même de se définir des frontières raisonnables et de se tracer enfin quelques grandes ambitions. Concrètement, il faudra constituer un gouvernement économique de la zone euro et réorienter la Banque Centrale et le Pacte de stabilité en direction de la croissance et de l'emploi.

Cela ne suffira pas, car l'Europe devrait jouer un rôle majeur dans la lutte contre la crise internationale, en particulier dans la recherche d'une meilleure efficacité des systèmes monétaires et bancaires et d'un ordre social et mondial plus juste. Ce nouveau cours n'interviendra que par un retour à la volonté collective incarnée par la puissance publique, celle des Etats et celle qui résultera d'une étroite coopération entre eux.

Les instruments internationaux, tels que le FMI, la Banque mondiale, l’OMC, seront réformés en vue de mieux servir le développement de la planète et de protéger son environnement.

Oui à une « Europe-Puissance »

L'Europe sera « européenne » et indépendante, ou elle ne sera pas. Elle ne deviendra une réalité politique que si elle réussit à peser sur la scène internationale. Elle a donc besoin d'instruments et de budgets pour se faire entendre et pour se défendre de manière autonome sans pour autant rompre ses alliances actuelles.

Son action extérieure s'organisera autour de son incontournable « noyau dur » (le tandem franco-allemand) ; elle développera les coopérations renforcées en cercles concentriques et s'ouvrira à des partenariats privilégiés - et non pas à des élargissements inconsidérés - avec la Turquie, la Russie, l'Ukraine, l’espace méditerranéen.

Le monde reste dangereux. Les Européens auraient intérêt à se défaire de l’illusion selon laquelle la démocratie et la paix se propageront automatiquement à partir du progrès économique et du commerce. Il n'y a pas non plus de véritable « communauté internationale », mais des rapports de forces et d'intérêts. L'Europe-Puissance est une nécessité. Il faut l'entendre comme une Europe de la responsabilité et non pas comme une posture militariste ou impérialiste : c’est la prise en compte de la vraie nature des relations internationales et donc du devoir d’être actif. A cette condition, l'Europe restera présente dans les affaires du monde.

L'Europe ne se construira pas sur les ruines des Etats.

Un projet de civilisation pour l'Europe ne peut pas se nourrir de la doctrine naïve du dépérissement des Etats nations. Pour l'heure, hormis l’exception belge confirmant la règle, les Etats demeurent les socles de la citoyenneté démocratique et de la légitimité du pouvoir. Certes ils peuvent et doivent déléguer certaines compétences à l'Union, mais à la condition de ne pas attenter au principe de la souveraineté populaire. Ainsi que le préconisait Jacques Delors, l'Europe devrait se bâtir comme une « fédération d'Etats nations » et non pas - comme le voudrait une certaine idéologie officielle belge - comme un Super-Etat fédéral et post-national qui serait l'agent de la mondialisation ultralibérale et la porte de sortie honorable pour un régime en voie d’évaporation. Cette idéologie oublie manifestement que la crise du fédéralisme belge et celle du fédéralisme européen vont de pair. La Belgique « modèle de l'Europe » n'était qu'un mythe. Et les errements du fédéralisme européen n'ont été que le miroir de certaines expériences belges malheureuses.

L'Europe ne s'édifiera pas sur la nécropole des nations défuntes. C'est pour l'avoir escompté que les européistes compulsifs n'ont produit qu'une Union molle et velléitaire. L'idée politiquement correcte d'un Super-État européen - les Etats-Unis d’Europe- va à contre-courant de la réalité : en effet, c'est parce qu'elle a renoncé au principe de la puissance publique épaulant et encadrant l’initiative entrepreneuriale que l'Union a involontairement rendu sa force au rôle de l'Etat comme acteur et régulateur dans un monde désordonné.

Quant aux nations d'Europe centrale et orientale, si longtemps privées d'Etat, elles ne sont pas disposées à abdiquer une part significative de cette souveraineté qu'elles viennent à peine de récupérer.

Sans aucun doute, l’Etat livré à sa solitude serait-il lui aussi largement impuissant. C’est pourquoi l'Europe doit exercer une fonction majeure d'animation et de coordination en équilibrant les missions des Etats et de l'Union.

Au-delà des cruelles déceptions, l'Europe reste donc une nécessité mais encore faut-il la refonder sur une vision renouvelée et ambitieuse. Oui, nous avons besoin d'une stratégie de lutte contre la crise, d'une protection raisonnable de notre appareil industriel et de ses emplois, d'un renforcement du tissu social et démocratique, d'une « Europe-Puissance » responsable. L'avenir du projet européen dépend d'un retour du politique, c'est-à-dire du débat et de la décision. C'est à ce prix que les peuples reprendront goût à l’Europe.


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