Ces Belges qui rêvent d'être Français - 1er janvier 2009

L'article en ligne

Article de Célia Sampol, correspondante à Bruxelles, paru dans le magazine français Valeurs actuelles de cette semaine.

Malgré la nomination d'un nouveau premier ministre, la crise politique s'éternise.
Un courant politique cherche à convaincre l’opinion que la Wallonie et Bruxelles peuvent être rattachés à la France. L’idée semble faire son chemin.

Sujet signalé par notre correspondant à Paris, Etienne Thiempont.

Allez, Paul-Henry, passe en tête du cortège comme le Général en 1945 ! Les militants aiment bien Paul-Henry Gendebien, le président du parti Rassemblement Wallonie-France (RWF). Le général en question est Charles de Gaulle. Gendebien revendique le même amour de la France et la même idée de “résistance” que le Général. Il parcourt le pays wallon pour défendre les idées de son mouvement, apparemment utopiques : la nécessité d’un rattachement de la Wallonie et de Bruxelles à la France en cas de scission de la Belgique.

L’interminable crise politique de leur pays les encourage dans cette démarche. 

Malgré la nomination au poste de premier ministre du chrétien démocrate flamand Herman Van Rompuy, 61 ans, le 28 décembre, les Belges ne se font aucune illusion, encore moins les “rattachistes”. Ces militants veulent devenir français pour des raisons culturelles mais aussi pour la sécurité, la démocratie politique et sociale, la République, l’État de droit, la bonne gouvernance administrative, toutes ces choses dont les “prive” l’État belge et que semble incarner la ­France. Des mobiles économiques et quelques bénéfices substantiels à en tirer font aussi partie des motivations. Toutes leurs fêtes sont hérissées de drapeaux tricolores, frappés en leur centre du coq wallon. Les profils sociologiques des rattachistes sont variés, comme leurs raisons de militer.  « Il y a une crise permanente depuis plus de seize mois, explique le président Gendebien, un ancien diplomate belge. Elle a une durée anormale et une intensité exceptionnelle, puisque le gouvernement s’est mis en congé à Pâques 2007, à l’avant-veille des élections législatives de juin. » Depuis cette époque, la Belgique n’a pas eu de gouvernement digne de ce nom. « On a cinq partis avec la main sur le revolver, prêts à dégainer et à faire feu sur le premier qui bouge, poursuit Gendebien. La Belgique est un État en voie de décomposition. La chute fatale et définitive pourrait intervenir à brève échéance. » Avec un millier d’adhérents et trois mille sympathisants, mais aucun député ni sénateur, le Rassemblement Wallonie-France réclame un divorce à l’amiable entre les régions francophones – la Wallonie et Bruxelles seraient rattachés à la France – et la Flandre, qui deviendrait autonome. Les six communes de la périphérie bruxelloise, dites “à facilités”, où une population majoritairement francophone vit en territoire flamand, s’autodétermineraient par référendum.

L’Union européenne serait appelée en renfort pour organiser la consultation : « Il pourrait y avoir des régimes particuliers sur des périodes à négocier. Comme pour la Corse, l’Alsace, la Moselle, une partie des Dom-Tom. » Dans les rassemblements festifs des rattachistes, la police ouvre la voie. Le parti a en effet passé un accord avec les autorités pour montrer que ses militants sont tout sauf des agitateurs. Les consignes données aux manifestants sont strictes : on ne crie pas, on ne chante pas la Marseillaise, on n’applaudit pas mais on pleure la défunte Belgique. « Vive la République, vive la France ! » lancent en chœur les militants du RWF. Des badauds regardent, étonnés. D’autres sourient et lèvent le pouce. Gendebien explique : « Le but est de conscientiser, c’est pour ça que nous ne  sommes pas inquiets  d’avoir des résultats électoraux faibles [1,5 à 2 % des voix].

L’opinion publique est en train de basculer. Il y a dix ans, personne ne parlait de nous. » Un tel rattachement apporterait 4,5 millions d’habitants et une trentaine de parlementaires supplémentaires à la France. Il entraînerait aussi un partage de la dette publique belge entre Flamands et francophones. Elle s’élève à 300 milliards d’euros. Les rapports de population font que 40 % de cette dette serait à charge de la Wallonie et Bruxelles, soit 120 milliards d’euros ou 10 % de la dette française. C’est beaucoup, mais les rattachistes ont fait de savants calculs et l’affirment : « Comme la France verrait sa population, ses rentrées fiscales et son PIB augmenter, la charge serait tout à fait raisonnable. » Ils ne nient pas les difficultés. Que faire de Bruxelles ? Se rallierait-elle à la Flandre ou à la France ? La formule de district fédéral sur le modèle de Washington DC aux États-Unis ne pourrait pas s’appliquer, dans la mesure où l’Union européenne n’est pas un État. Et que faire du personnel diplomatique et européen gravitant autour des institutions de l’Union ? Tout cela n’est pas encore très clair.
 “Nous sommes à un point où le vouloir vivre ensemble est terminé”
Paul-Henry Gendebien a écrit Le Choix de la France. Son ancêtre avait, en 1830, remis la couronne de Belgique entre les mains de Louis-Philippe, roi des Français (note : ce passage mériterait d'être nuancé). Celui-ci la déclina sous la pression britannique. « Les grandes idées sont d’abord partagées par un petit nombre, lance-t-il. Ils étaient combien à Londres le 18 Juin avec de Gaulle ? »

Une seule personnalité a, pour le moment, osé exprimer des idées proches de celles des rattachistes au sein du Parlement fédéral : le député libéral francophone Daniel Ducarme. Il refuse le rattachisme, inacceptable à ses yeux par la population, et lui préfère l’idée d’un rapprochement. Ducarme a déjà rédigé (en juillet) un texte intitulé “Loi organique portant statut d’autonomie de la Belgique française”, en cas de rupture avec la Flandre. Dans ce projet, cette nouvelle entité comprendrait la Wallonie, Bruxelles et les six communes “à facilités”. Elle resterait autonome sur les politiques de proximité comme l’enseignement, la recherche ou l’audiovisuel. Pour les domaines régaliens – affaires économiques, sécurité, diplomatie, défense, –, cette entité dépendrait de l’État français. La collectivité pourrait élire un président, tout en gardant l’ex-roi de Belgique pour des fonctions protocolaires. « Le but n’est pas d’abandonner l’identité belge », assure Daniel ­Ducarme.

Ce rapprochement pourrait même être accepté sans changer la Constitution française. Daniel Ducarme est sûr que son projet “sera”, même s’il ne sait pas quand. Son constat est sans appel, face à l’affirmation flamande de ces dernières années : « Nous sommes arrivés à un point où un cycle de négociation de vouloir vivre ensemble est terminé. » Lui et ses amis estiment qu’être francophone en Belgique, « c’est ramasser des baffes du style : “Vous n’aurez pas de logement si vous ne parlez pas flamand ». Daniel Ducarme ajoute : « Les Wallons en ont marre qu’on leur dise qu’ils sont pauvres et peu fréquentables. La jeunesse a rompu avec le passéisme industriel et socialiste de cette région. L’herbe verte repousse. » Cet ancien ministre est convaincu que ses idées progressent car les sondages en faveur d’un rapprochement de la Belgique et de la France sont favorables, sans doute portés par la crise politique qui s’éternise.

En décembre 2007, 10 % des Wallons étaient favorables à ce projet. En juillet 2008, ils étaient 49 %. Quant aux Français, 60 % en moyenne n’y seraient pas hostiles. Ducarme sourit : « Certains disent que je présente cette idée uniquement pour faire peur aux Flamands et pour que la Belgique continue. C’est une BBB, une blague bien belge. »


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