Le Royaume de Belgique ou la guerre de Sécession en douceur - 5 septembre 2008
billet de Marc De Middeleer, ancien conseiller ministériel

Alarme, citoyens !

Voici un gouvernement belge vacillant et frappé d'impuissance depuis pas moins de 15 mois : le cadre belge s'avère incontestablement caduc. Les leurres ne trompent plus : sur le fond, les points de vue, flamand d'une part et bruxellois et wallon d'autre part, sont irréconciliables. Et le Premier ministre « belge », forcément flamand, censé être l'arbitre, ne peut plus jouer via le système électoral que la carte des sentiments nationalistes et des intérêts des électeurs flamands. Produits de l'histoire depuis 1830, la rancune et l'affrontement du peuple flamand envers ses « concitoyens » français — sentiments maîtrisés durant une centaine d'années — ont depuis la bride sur le cou. D'où la situation actuelle de rupture.

Le divorce voulu par la Flandre profonde, qui entend être reconnue par une frontière territoriale et politique absorbant le Grand Bruxelles (métropole française et internationale pourtant !), est l'indéniable objectif.

La Flandre profite de la faiblesse de son "partenaire", la Communauté française (et, en particulier Bruxelles) encore sentimentalement attachée à ce couple belge, dont elle se retrouve le membre trompé, minorisé depuis 1960, financièrement dépendant et dès lors méprisé par ce Nord égoïste, affairiste et calculateur.

Le péril est donc redoutable

Les Wallons et les Bruxellois vont-ils voir, en effet, leurs médiateurs « royaux » et leurs responsables politiques aller à Canossa ou à Munich pour conclure dans la peur et la faiblesse de vrais-faux compromis capitulards et préjudiciables pour leur propre avenir, à dé­faut de substantielles contreparties pour le court et le long terme ? Et le conflit communautaire n'en sera pas pour autant éteint ; il se rallumera de plus belle. Il y a tout lieu d'être pessimiste (ndlr : ou optimiste du point de vue de notre cause).

N'entend-on pas déjà qu'une nouvelle réforme de l'entité Belgique (cette fois plus profonde encore, la 6ème réforme en moins de 40 ans ! pour satisfaire un nationalisme flamand déterminé) est raisonnablement envisageable ? Et cela, ô ironie, pour n'être pas accusé d'avoir amené la fin du pays, le roi, inspiré par le sérail politique, invoqua lui-même dans son discours de la « fête nationale » (pour quelle nation ?) la nécessité d'une « grande réforme institutionnelle ». Pourtant, les yeux se sont enfin ouverts. Les discours anesthésiants des francophones perdent de leur effet. Les titres se bousculent jour après jour : La Belgique en sursis ; Belgique requiem ; Le méthodique détricotage du pays; La dernière cartouche du Roi, etc. Il aura fallu du temps pour comprendre. Et le remède prétendument salvateur est annoncé maintenant par tous, par les partis et les politologues les plus sérieux : le confédéralisme !

Le processus de dislocation d'une Belgique (aux deux nations sans langue commune) suivra ainsi son cours. Les étapes précédentes en ont montré la progression :

1921 : reconnaissance d'une frontière linguistique ;

1962 : fixation arbitraire de cette frontière, précédée à dessein du sabotage par les autorités flamandes du recensement linguistique local ;

1970 : « L'État unitaire est dépassé par les faits », constate Gaston Eyskens, Premier ministre "belge", reconnaissant par là que la Belgique ne forme plus « une unité politique » ;

1993 : Art. 1er de la Constitution : « La Belgique est un État fédéral ».

Sous l'apparence d'un « fédéralisme d'union », des institutions et mécanismes confédéraux sont, en réalité, déjà bien installés : suppression des partis nationaux belges ; autonomie politique des entités fé­dérées (Communautés et Régions) dans leurs compétences propres sans aucun droit d'arbitrage ou de tutelle du pouvoir fédéral ; aucune prépondérance des lois fédérales belges sur les décrets et ordonnances des entités fédérées ; pouvoir de ces entités de nouer des traités internationaux dans leurs compétences propres. Et, last but not least, les décisions du gouvernement fédéral et l'adoption des principales lois institutionnelles belges sont tributaires de l'accord des deux composantes, française et flamande, du pays. Il n'y a déjà plus de gouvernement belge, mais bien une « conférence diplomatique permanente ». L'impasse et le blocage décisionnel en attestent à suffisance. Est-ce sage de s'entêter dans une structure collective belge artificielle ?

Une solution pernicieuse

La Flandre, excipant de la loi du nombre et forte de sa foi nationaliste, de son pouvoir financier, et usant de son chantage à l'éclatement du pays, nous conduit à la fausse solution : la Confédération belge des États flamand et français, chacun autonome avec ses moyens respectifs. De là son exigence logique d'écarter de la négociation la Région de Bruxelles. Le Vif/L'Express (31.07.2008) met parfaitement en garde : « la thèse flamande classique se fonde sur une Belgique à deux (Flandre et Wallonie), reléguant la capitale au rang de territoire cogéré ! Ce n'est pas innocent. En cas de scission du pays, il serait alors plus difficile aux Wallons et aux Bruxel­lois d'unir leurs destinées ».
D'autant plus que par la scission, exigée dans cette perspective, de l'arrondissement de Bruxelles-Hal-Vilvorde, la Région francophone du Grand Bruxelles » serait totalement enclavée en territoire flamand, la frontière linguistique « étant une frontière d'État depuis les années 60 »... comme le concevait tout récemment le ministre belge des Affaires étrangères Karel De Gucht.

Or, en terre flamande, les Belges non flamands reçoivent aujourd'hui une qualification et un traitement d'immigrant et les mesures de flamandisation de Bruxelles et de sa périphérie — fussent-elles antidémocratiques, anticonstitutionnelles ou discriminatoires — se multiplient impunément. Belles perspectives pour les francophones dans la future Belgique confédérale !

« Comprenons-nous bien, souligne Ph. de Schoutheete, ancien ambassadeur de Belgique auprès de l'Union Européenne, dans La Libre (28.07), le mot confédéral est devenu un mot clé dans le débat politique ( ... ) il est essentiel d'en clarifier la portée ». Et de préciser : « Les Allemands parlent de "Bundestaat", au singulier (c'est l'État fédéral) et de "Staatenbund" au pluriel (c'est la confédération d'États) (...) Il existe des États fédéraux et il a existé (généralement de manière précaire) des Confédérations, mais il ne peut pas exister "un État confédéral" ( ... ) Dès lors, une grande partie du milieu politique flamand, qui prône un modèle confédéral, est implicitement mais nécessairement "séparatiste", peut-être pas sans le savoir ».

Yves Leterme, père du fidèle partenariat du premier parti de Flandre avec les indépendantistes de la N-VA, mais néanmoins Premier ministre de Belgique (!), est de ceux-là, lorsqu'il déclare « qu'il faut réaliser le confédéralisme ».

Un confédéralisme vicieux

Il faut bien comprendre que le Nord vise un confédéralisme vicieux qui conserverait, pour la scène internationale et l'Union Européenne en particulier, la façade d'un royaume de Belgique protocolaire, justifiant ainsi la mainmise, sinon la tutelle de la Flandre sur le Grand Bruxelles francophone. L'État belge — donc ses organes, pouvoirs et moyens fédéraux — serait réduit à une coquille vide. La Flandre et la Wallonie assumeraient leur souveraineté et charges respectives dans les domaines essentiels de l'économie, de la sécurité sociale, de la fiscalité, de la recherche scientifique, de la justice, des infrastructures et travaux publics. Telles sont la logique et la dynamique de concurrence et d'éloignement de la Flandre !

Le sénateur et constitutionnaliste Francis Delpérée l'a fort bien dit : « Le confédéralisme est le fédéralisme des cons »

Dans cette Guerre de Sécession masquée, qui, cependant, espère raisonnablement y trouver l'Abraham Lincoln belge, cet homme fort à la hauteur de la crise existentielle de cette Belgique divisée sur le plan ethnique ? Celui qui, comme aux États-Unis d'Amérique (authentique État fédéral) renforcerait substantiellement le pouvoir central et par là l'unité et la solidarité citoyenne, qui rétablirait la prépondérance de la Charte fondamentale et des lois fédérales sur les normes et décisions des entités fédérées ? Où trouver cet homme providentiel ?

Allons, cessons de rêver ! Foin de sentimentalisme romantique. La politique n'est pas affaire de sentiments mais de rapports de force et d'intérêts. Et, lorsqu'on entend les trois médiateurs "royaux" entrevoir une éclaircie, on entend Machiavel, conseiller du Prince, nous dire : « Les hommes sont si simples, et ils obéissent tant aux nécessités présentes que celui qui trompe trouvera toujours qui se laissera tromper. » (Le Prince, XVIII).

Comme le relève le journaliste C. Askolovitch (Le Nouvel Observateur), « La Flandre a les idées claires. Elle veut jouer seule. Elle est prospère, mondialiste et natio­naliste à la fois. Elle joue de ses martyrs et de son argent ( ...) La Wallonie, elle, n'a pas fabriqué sa légende. Elle se croyait belge et est entrée dans la bagarre séparatiste à reculons. Cela va changer. Mais ça n'a rien d'évident. Car les Wallons ont pris l'habitude de subir les agendas des autres ».

Source : Revue Wallonie-France n° 80 - septembre-octobre 2008
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