Auprès de ma blonde…
La Libre - 8 décembre 2007
Billet « d’humour » de Pierre-René Mélon

Pierre-René Mélon, est un militant réunioniste de la première heure. Il est l'auteur d'un désopilant Petit glossaire de la sous-France (Talus d’approche, 2000) et de L’Histoire imaginaire de la première République liégeoise (Cefal, 2001).

Il y a quelques jours, le monde apprenait cette étonnante nouvelle : les blondes ne sont pas plus bêtes que les autres femmes, ce sont les hommes qui se conduisent bêtement envers elles, nourrissant ainsi le préjugé bien connu. A la fréquentation des blondes, disent les études, "les hommes éprouvent des problèmes au niveau de leurs capacités intellectuelles et voient leur quotient intellectuel baisser". Pourquoi ? Parce que les blondes fascinent ; en conséquence, la plupart des hommes s'adaptent à l'image qu'ils ont des blondes et abaissent ainsi involontairement leur propre seuil d'intelligence. Paradoxalement, ils se rendent volontairement stupides pour être aimés, devenant ainsi auteurs et victimes de leurs propres préjugés.

Cette découverte apporte, me semble-t-il, un éclairage intéressant sur le mal belge. Je postule que les Francophones, fascinés par la pugnacité, l'esprit collectif et le dynamisme des Flamands se comportent avec eux comme avec les blondes : ils abaissent leur seuil d'intelligence pour les séduire ou pour éviter de les perdre.

La fascination du "sud du pays" envers le modèle iconographique flamand précède les réussites économiques du "nord du pays" ; en réalité, elle est aussi ancienne que le royaume. Elle trouve son origine dans l'image essentiellement brueghelienne (certains diront bourguignonne) que les historiens du XIXe siècle ont donné de la Belgique. En guise de repoussoir aux modèles nationaux environnants, le récit mythologique belge devait présenter à ses populations un modèle identifiable et singulier, une sorte de pochoir facile à colorier, un tracé doux aux lignes claires : le Belge (version livre d'école) est un petit peuple bon enfant, pragmatique, courageux, peu enclin aux complications de la pensée, penché laborieusement sur un plat pays rassurant où l'alignement des arbres et la douceur des canaux donnent de l'industrie humaine une image de pérennité paisible et immuable. Les contours du chromo s'affinent avec le temps, mais le contenu reste inchangé : après la version Beulemans et l'exaltation de l'accent brusseleir (qui est certaine façon pour les francophones de se teindre en blond), après l'excursion civilisatrice de Tintin au Congo ("Quel as, ces missionnaires !"), l'héroïque "poor little Belgium" des tranchées de l'Yser et l'impossible pipe de Magritte, le logo officiel flamando-bourguignon trouve sa dernière expression dans le modèle "Belgique Joyeuse" de l'Expo '58.

Cette flamandisation ou "blondisation" à outrance du concept Belgique entraîne aujourd'hui des conséquences inattendues et dramatiques : au fur et à mesure des réussites flamandes et des décrochages wallons, les relations paternalistes des francophones belges envers les Flamands se sont reconstruites sur un schéma pervers de fascination et d'aveuglement ; fascination pour l'essor économique et culturel exceptionnel de cette petite nation admirable à bien des égards ; aveuglement envers ses dérives ethnicistes et son obsession identitaire. Fascination et aveuglement qui ont conduit les francophones à abaisser continuellement leur seuil d'intelligence politique pour continuer à séduire la blonde du Nord, cédant à ses exigences, fermant les yeux sur ses débordements.

Quand Yves Leterme dit que les Francophones n'ont peut-être pas les capacités intellectuelles suffisantes pour apprendre le néerlandais, n'exprime-t-il pas inconsciemment les rapports de subordination que la Flandre blonde a créés avec le mâle belge francophone ? La blonde dominante, consciente de son pouvoir (de transfert d'argent), sûre de ses charmes politiques (à majorité absolue) peut se permettre de jouer aux capricieuses avec son soupirant agenouillé qui lui chante bêtement et inlassablement : "Auprès de ma blonde" et "Ne me quitte pas".

La conclusion est simple : le Belge francophone doit cesser d'hésiter entre "Auprès de ma blonde… qu'il fait bon dormir" et  "Ne me quitte pas… tout peut s'oublier " : il doit d'abord se réveiller de son sommeil belge, ouvrir les yeux, recouvrer enfin sa mémoire française et, grâce à elle, rompre le charme débilitant du modèle blond.


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