La Wallonie indépendante ? Une faillite programmée

Une Wallonie indépendante : la faillite programmée
Analyse de Paul-Henry Gendebien, Président fondateur du R.W.F.

Une Wallonie indépendante, que de rares rêveurs font surgir des cendres de la Belgique, ne serait même pas un micro-Etat, elle n’aurait que l’apparence d’un Etat et sa durée de vie ne dépasserait pas quelques semaines. Ce n’est pas le poids démographique de ce nouveau pays qui serait en cause : plusieurs pays de l’Union européenne sont moins peuplés, et même beaucoup moins peuplés. Les empêchements viendront de deux obstacles majeurs : son absence de crédibilité économique et financière, autant que le manque de sentiment national au sein de la société wallonne.

Le Mouvement wallon a contribué activement au réveil d’une conscience populaire au siècle précédent. Toutefois, éparpillé entre ses courants autonomiste, fédéraliste, réunioniste, il n’a jamais engendré une pensée indépendantiste cohérente et puissante, et encore moins des chefs en mesure de porter un projet national, à l’exception, peut-être, d’un André Renard s’il n’était décédé prématurément en 1962 à l’âge de 51 ans.

On se souviendra que les indépendantistes ne formaient que la fraction la moins nombreuse au grand Congrès Wallon de Liège, en 1945, où les partisans du rattachement à la France l’avaient d’abord emporté sur les fédéralistes. Mais ceux-ci imposèrent en fin de compte un attentisme « réaliste », au nom duquel tout le monde se retrouva perdant puisqu’il fallut encore patienter 35 ans avant que les structures de l’État connaissent un début de régionalisation.

La faute wallonne de 1945, c’est d’avoir placé sur un pied d’égalité les trois hypothèses : le fédéralisme, l’indépendantisme, le réunionisme. Les courants se neutralisèrent mutuellement. Si les organisateurs du Congrès avaient additionné les votes « séparatistes » – 46% pour les réunionistes et 14%, pour les indépendantistes -, c’est une majorité de 60% qui se serait dégagée. Cependant, entre le premier vote dit « sentimental » et le second dit « de raison », de fortes pressions parties des milieux gouvernementaux bruxellois et de la direction du Parti socialiste étaient parvenues jusqu’à Liège. On sait aussi que la Grande-Bretagne, dont les troupes étaient présentes sur le territoire belge, ne resta pas inactive, redoutant comme toujours la moindre extension française en Europe.

Si le camp fédéraliste avait habilement manœuvré, sa victoire fut celle de la pusillanimité plus encore que celle du réalisme. La Belgique n’avait eu qu’une émotion, elle pouvait respirer.

Fondamentalement, l’histoire du Mouvement wallon montre qu’il ne fut jamais un mouvement national contrairement à son homologue flamand. Pendant de longues décennies, la Wallonie a négocié des petits « arrangements » régionalistes à l’intérieur de la machinerie institutionnelle belge, sans toutefois réussir à corriger sa position minoritaire dans l’Etat.

A la suite d’une série de marchandages pas toujours glorieux, l’étape d’un fédéralisme bancal fut franchie. Les frontières interrégionales, fixées de manière incorrecte, suscitèrent de nouveaux motifs de dissensions explosives, à Fourons et dans la périphérie de Bruxelles. La principale erreur des Wallons et des Bruxellois fut d’accepter l’enchevêtrement et la superposition, à l’intérieur d’un même espace, de deux types de pouvoirs autonomes, ceux des Communautés et ceux des Régions.

Aucun système fédéral ne fonctionne ainsi sur la planète. En s’engageant dans cette voie, les Francophones belges organisaient l’inefficacité de leurs structures régionalo-communautaires et fragilisaient le sentiment wallon.

Le Mouvement wallon aurait pu développer une stratégie déterminée lorsque les rapports de force lui étaient encore relativement favorables (en 1945, en 1950, en 1961…) S’il l’avait fait, la Wallonie ne serait pas aujourd’hui dans la position défensive de minoritaire perpétuelle qui est la sienne. Elle maîtriserait sa politique culturelle pour se réapproprier sa mémoire, son enseignement pour transmettre une vision de l’avenir, un service public audiovisuel pour forger une citoyenneté. Et elle aurait pu acquérir des instruments de reconversion en temps utile, dès le début des années noires de la désindustrialisation et non pas après l’apparition de ses effets ravageurs : fermetures d’usines, chômage, déstructuration sociale.

Depuis 1961, les dirigeants wallons ont à peu près exclusivement joué la carte belge. Ils en ont été pour leurs frais. S’ils n’ont pas obtenu les pouvoirs et les moyens nécessaires et s’ils n’ont pas été aux rendez-vous de tous les besoins de la population au moment voulu, c’est parce que la Wallonie ne possède pas toutes les dimensions d’une entité politique autonome.

Historiquement – et ceci compte plus qu’il n’y paraît pour le présent – la Wallonie ou plutôt ses diverses principautés ont toujours fait partie d’un tout politique plus vaste (Bourgogne, Saint-Empire Romain germanique, Espagne, Autriche, France, Pays-Bas et Belgique). Si elle a fini par former un sous-ensemble au sein de l’État belge, c’est par réaction de tardive et légitime défense contre les comportements majoritaires de la Flandre. Mais cette réaction n’alla jamais dans la direction qu’avait suivie le Mouvement flamand : la construction d’un fort sentiment national tel qu’on l’observe, non seulement en Flandre, mais en Écosse ou en Catalogne. Si la Flandre s’est dressée contre l’État belge, c’est au nom d’une vocation étatique, nationale et européiste. Elle a commencé à le faire dès le milieu du 19ème siècle par opposition à une Belgique francophone alors même qu’elle profitait des transferts financiers sud-nord. La Wallonie, elle, ne fut que rarement fâchée contre la Belgique et elle ne se fâcha pas longtemps : on s’en avisa en 1950 et en 1961. Par la suite, elle ne manifesta que des mauvaises humeurs très passagères contre son père belge qui la protégeait trop peu, mais tout rentrait aussitôt dans l’ordre. Et cela d’autant plus que la nomenclature, grâce aux réformes successives de l’Etat, recevait tout de même des pouvoirs supplémentaires pour mieux entretenir son emprise sur une clientèle électorale reconnaissante.

Il n’y a pas et il n’y aura pas d’indépendantisme wallon parce que la Wallonie contemporaine s’est satisfaite de rester la partie subordonnée d’un tout belge ou de se fondre dans une Communauté française qui à certains égards aura été une reproduction, en petit, de la belgitude. Oui, il y a une région wallonne mais pas une nation wallonne. Forcément, il n’y a pas – et on peut s’en féliciter – de nationalisme wallon. Parmi les éléments constitutifs d’un État nation, le premier et le plus important d’entre eux, c’est la volonté de le former et de l’édifier. Affirmer qu’il n’y a pas de conscience nationale wallonne, c’est un constat, qui n’est pas insultant car il n’enlève rien aux talents et aux capacités du peuple wallon.

En se voulant d’abord belges, les élites wallonnes – politiques, universitaires, patronales, syndicales – ont oublié que l’émergence d’une forte conscience régionale doit s’appuyer à la fois sur un héritage et sur un projet mobilisateur. D’où l’estompement progressif, depuis une vingtaine d’années, de l’identité wallonne.

Dans un article publié par Le Figaro, le 29 décembre 2010, le Ministre président wallon Rudy Demotte confirme cette régression du sentiment d’appartenance à la Wallonie : « La Wallonie a souffert d’une absence de conscience et de fierté collectives, notamment du fait que son adhésion au projet belge n’a pas soutenu l’émergence d’une identité alternative comme en Flandre. » Cruel et dramatique aveu du Ministre, même s’il est incomplet. Car M. Demotte ne précise pas que la plupart de ses prédécesseurs n’ont pas cessé de vendre de la belgitude à leurs électeurs. Non seulement, ils n’ont pas voulu construire un véritable projet wallon mais ils se sont accrochés avec l’énergie du désespoir à un « projet belge » dont on cherche en vain la trace et pour cause puisqu’il n’existerait que dans leur imagination.

L’hypothèse d’une Wallonie indépendante ne pourrait, au mieux, que fournir un sujet de mémoire de fin d’études. Dans la réalité, elle ne peut tout simplement pas tenir debout. Les chiffres (2010) ne mentent pas. Comptant 33% de la population belge, la région wallonne ne contribue que pour 23,3% à la formation du Produit intérieur de la Belgique et pour 28,3% au rendement de l’Impôt sur les personnes physiques, mais elle pèse pour plus de 35% dans les budgets de la sécurité sociale et plus de 45% dans celui du chômage. La structure économique de la région, même si elle s’améliore incontestablement ici ou là, reste déséquilibrée : l’industrie n’offre que 20% des emplois (chiffres 2010 : ce chiffre a entre-temps baissé) et la tertiarisation a des limites. Trop d’actifs wallons sont dépendants d’un secteur public surabondant où l’administratif et le non marchand subventionné ont généré 30.000 nouveaux postes en 15 ans.

La cause est entendue. Une Wallonie complètement autonome voit son niveau de protection sociale chuter de 20%. Une série d’allocations sont revues à la baisse, notamment celles qui secourent les chômeurs de longue durée. Elle ne parvient pas à remplir toutes les obligations régaliennes (armée, police, justice, diplomatie…) d’un Etat digne de ce nom et elle est confrontée à une charge de la dette publique insoutenable, héritée de l’ancienne Belgique et de son propre passé régional. La dette belge se chiffrait à quelque 346 milliards d’euros en novembre 2010, dont 337 à charge de l’Etat fédéral proprement dit. La clé de répartition entre successeurs de l’Etat, résultant d’un choix politique, s’établira en fonction d’un ou de plusieurs critères, ou d’une combinaison de ceux-ci. Si c’est celui de la démographie, la Wallonie endosse 33%, soit 111,2 milliards auxquels il convient d’ajouter 4.4 milliards de dette wallonne officielle et une dette « cachée » au moins équivalente. Une dette wallonne souveraine serait ainsi de l’ordre de 120 milliards.

Si la dette belge est partagée en fonction du rendement de l’impôt sur les personnes (28,3%), l’héritage est limité à 95,4%, plus 8,8 milliards, soit 104,2 au total. Avec un produit intérieur de l’ordre de 80 milliards, le rapport « dette publique/PIB » d’une Wallonie indépendante oscillerait entre 130 et 150%, atteignant un niveau absolument insupportable.

Le jeune Etat wallon, avant même d’ouvrir les yeux, déclencherait la méfiance immédiate des marchés internationaux. Qu’il s’agisse d’une République ou d’un avatar monarchique, ses nouvelles autorités seraient déchirées entre le plus draconien des devoirs d’austérité et la tentation de promouvoir ses favoris dans les innombrables fonctions politiques, administratives, diplomatiques, militaires, et autres, qui s’ouvriront inévitablement. Les mauvaises manières apprises sous l’ancien régime belge pourraient connaître un essor certain. Et les querelles partisanes et idéologiques au sommet de la pyramide du nouvel Etat achèveraient de le discréditer à l’intérieur comme à l’extérieur.