Le CD&V : l’ancien pilier de l’Etat belge se lézarde

Deux sondages récents placent le CD&V autour de 10%. Les électeurs se détournent en masse du parti qui, pendant des décennies, a dominé la Flandre sur le plan politique et administratif. Selon le président Joachim Coens : « la communication constituerait le problème ». Un peu court comme explication. Pour d’autres, c’est la faute aux évolutions sociales telles que la sécularisation, la dépilarisation (la fin des « piliers »/standen du CD&V), le nébuleux dossier ARCO, etc.

En 1978, le CVP, précurseur du CD&V, remportait 44% des voix en Flandre. La démocratie chrétienne flamande était l’expression politique de la Flandre profonde : centre-droit sur le plan socio-économique, conservateur sur le plan socio-culturel. catholique et flamand. Les électeurs associaient spontanément ce parti à la bonne gestion des affaires de l’Etat.
Mais au cours des quarante dernières années, le CD&V a perdu 3 électeurs sur 4 !

Une première raison de ce déclin continu ? La légalisation de l’avortement au début des années 1990 avec l’appui sans réserve du CD&V à la tête du gouvernement. Pour de nombreux électeurs, si un parti catholique ne défendait plus la vie en gestation et ne provoquait pas de crise gouvernementale pour la défendre, alors qui le ferait à sa place ? Par leur passivité, ils ont montré au grand jour leur goût immodéré du pouvoir. Et un parti qui n’a plus de valeurs ne vaut plus rien pour le citoyen.
Quand le CD&V a été évincé du pouvoir par Verhofstadt en 1999 (suite à l’affaire de la dioxine), le parti ne savait pas quel était réellement son message. Parce qu’il n’en avait pas. Son seul objectif consistait à gouverner éternellement parce qu’il savait « ce qui est bon pour le peuple ».
Grâce au cartel avec la N-VA en 2004, le CD&V a pu reprendre les rênes du pouvoir. Il l’a fait avec un contenu clair : le confédéralisme et un conservatisme modéré.
Depuis le départ de la N-VA, il ne reste pratiquement aucune trace d’un quelconque programme conservateur au sein du CD&V. Une fois redevenue autonome, lors des élections de 2010, la N-VA est devenue le plus grand parti, précisément en raison d’un programme confédéral substantiel et clairement libéral conservateur.

De 44% en 1978 à 14,5% en 2019 pour atteindre 10% dans les sondages en 2021, le CD&V a donc vu ses électeurs s’évaporer. Mais où sont passés ces électeurs jadis fidèles. Pas aux partis de gauche qui ont obtenu un score cumulé de 24,1% en 1978, 26,5% en 2019 et 28,7% dans les urnes. Rappelons que depuis 1918, la gauche en Flandre a systématiquement atteint un maximum de 25 à 30%. Les chrétiens-démocrates ne perdent pas non plus face au parti libéral. Les libéraux eux-mêmes ont perdu environ un électeur sur trois entre 1978 et aujourd’hui : de 17,5% (1978) à 13,8% (2019) et 11,5% (2021). Ne surnomme-t-on pas le VLD « Vlaamse lege doos » (boîte flamande vide).
Le nationalisme flamand (Volksunie puis N-VA et Vlaams Belang) est quant à lui passé de 14,2% en 1978 à 45,3% en 2019 et même 47,9% dans le dernier sondage. Il ne faut pas être grand clerc pour comprendre ce qui va se passer.

Le peuple flamand n’est pas soudainement devenu plus flamand, plus à droite ou plus extrême. Le peuple flamand est toujours resté le même. C’est la réalité qui est devenue plus extrême en raison de la politique des dernières décennies. En effet, la particratie et son jeu d’alliances, contre la volonté du peuple flamand permet au centre mou (CD&V et VLD) de gouverner continuellement avec un programme éloigné de ce que veut une majorité du nord du pays. C’est pourquoi tous les partis traditionnels, et le CD&V en particulier, sont en train d’imploser. Peut-être à l’exception de Vooruit, si les prochains sondages confirment son petit rebond.

Le fait que le CD&V continue à s’accrocher au pouvoir, en dépit de nombreuses défaites électorales, accélère le processus de déclin : malgré l’absence de valeurs politiques et sans programme original, le CD&V a mis l’hétéroclite Vivaldi sur orbite. Pour de nombreux Flamands, c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. En conséquence, ils votent pour l’opposition flamande marquée à droite. Aujourd’hui, l’aile gauche du CD&V (syndicale) risque de s’en éloigner au profit de Vooruit ou de Groen et l’aile droite qui a gardé une fibre flamande (comme un Hendrik Bogaert, Pieter De Crem, Wouter Beke, etc.) sera un jour tentée de passer à la N-VA. D’autant que ce déclin continu met en danger leurs nombreux mandats politiques. Et dans le cas où ils seraient majoritaires au sein du parti, la tentation de reformer un cartel flamand avec une N-VA poussée dans le dos par le Vlaams Belang serait logique.

Note : un exemple récent de transfuge. Entre 2009 et 2014. Lode Vereeck a été chef de groupe de la Lijst Dedecker au parlement flamand avant de passer au VLD qui en a fait un sénateur coopté. Suite à sa mise à l’écart du parti pour de sombres démêlés avec l’Université de Hasselt, Lode Vereeck travaille depuis deux semaines pour la délégation du… Vlaams Belang au parlement européen en tant qu’expert indépendant.