Pourquoi vouloir créer une identité wallonne…

Pourquoi vouloir créer une identité wallonne, alors qu’elle existe ? Elle est française, de langue et de culture

Article de l’essayste Jules Gheude publié sur le site du Gewif (l’auteur n’a aucun lien avec le RWF)

Un courant ultra-régionaliste existe en Wallonie, qui voit dans la Communauté française un frein majeur à l’affirmation d’une identité wallonne, voire d’un nationalisme wallon. L’idée, ici, est de réformer l’Etat belge sur la base de quatre Régions : la flamande, la wallonne, la bruxelloise et la germanophone.

« Il faut forger l’identité wallonne ! ». Cette phrase entendue naguère démontre, à elle seule, que l’identité wallonne n’existe pas. Et pour cause, comme l’a si bien expliqué l’historien namurois Félix Rousseau :

« Donc, au XIIIe siècle, il se produisit en Europe occidentale un événement d’une portée considérable : le latin perd son hégémonie, les langues vulgaires deviennent des langues de culture, des langues d’administration. Que va-t-il se passer dans nos régions wallonnes ? Un dialecte (par exemple le dialecte liégeois) va-t-il prendre le pas sur les autres parlers et devenir l’organe commun, la « koïnê » ? Nullement. A part Tournai et le Tournaisis, fiefs français, la principauté de Liège, les comtés de Namur, de Hainaut, de Luxembourg se trouvaient ‘en terre d’Empire, donc situés en dehors des frontières politiques de la France. Et cependant, dès le XIIIe siècle, c‘est le français qui est adopté partout comme langue littéraire. Voilà le fait  capital de l’histoire intellectuelle de la Wallonie. Sans aucune contrainte, de leur pleine volonté, les Wallons sont entrés dans l’orbite de Paris et, depuis sept siècles, avec une fidélité qui ne s’est jamais démentie, n’ont cessé de participer à la culture française. »

Pourquoi, dès lors, vouloir s’esquinter à « forger » une identité qui existe déjà et qui est française, de langue et de culture ?

Au cours de leur histoire, les Wallons n’ont connu le régime politique français que fort peu de temps. En fait, de 1792 à 1815, avec une brève restauration autrichienne d’avril 1793 à mai 1794. Jean Cathelin a analysé cette période dans son excellent livre « La vie quotidienne en Belgique sous le régime français 1792-1815 » (Hachette, 1966). Il rappelle que « l’esprit révolutionnaire « à la française » s’est manifesté chez les Wallons et au Pays de Liège, avant même le déclenchement de la Révolution française » et que cela  a « exercé une influence majeure sur l’optique de la Révolution, la faisant passer de la défensive nationale à l’offensive internationale de libération des peuples. »

Loin d’être dédaignés, poursuit Cathelin, « ces « Français de l’extérieur » avaient été vite adoptés dans les milieux révolutionnaires parisiens et nombreux étaient les réfugiés qui s’étaient vu confier des fonctions officieuses, comme s’ils eussent été considérés comme des nationaux français. »
Pour Cathelin, les Wallons sont donc bien des « Français de l’extérieur », que les hasards de l’Histoire ont amenés à évoluer en dehors des frontières de la France.

L’épopée napoléonienne a laissé  une forte trace dans l’Entre-Sambre-et-Meuse. En témoignent les célèbres marches historico-folkloriques. « Dans aucune province de France, remarque Félix Rousseau, il n’existe de traditions napoléoniennes aussi remarquables que dans cette région de la Wallonie. »

Au lendemain de la défaite de Waterloo, Namur a apporté son soutien aux troupes françaises en retraite. Le général Berton écrit : « Nous n’avions à parcourir qu’une contrée d’amis ; l’accueil généreux de la ville de Namur ne sera jamais oublié par ceux qui en furent les témoins. Nous ne saurions trop le répéter à la France : Namur a bien mérité de la patrie. »

 Mais revenons à la Révolution française. Pour qui concerne le Hainaut, Jean Cathelin explique que « les bourgeois montois accueillent les Français avec liesse. » S’inspirant du modèle des clubs politiques parisiens, une Société des amis de la liberté et de l’égalité voit ainsi le jour. « Le club montois semble avoir été le premier à lancer une idée qui a toujours hanté les républicains belges, de 1792 jusqu’aux groupes irrédentistes et rattachistes de nos jours : la réunion à la France. »

Le 6 février 1793, des festivités ont lieu à Mons et, à cette occasion, Danton lance cette fameuse apostrophe : « Vous êtes les Marseillais de la Belgique ! ».

A Liège, dès le 8 janvier 1793, une Convention nationale liégeoise vient remplacer le Conseil général de la Commune. A l’automne 1795, le citoyen Bassenge proclame officiellement la réunion à la France de la principauté de Liège. Et Cathelin d’expliquer : « Ce précurseur des politiciens professionnels modernes sera parlementaire sous tous les régimes de 1795 à 1814 (…). Il devait être l’artisan essentiel de la fidélité du pays de Liège à la France de Bonaparte et de l’Empereur. »

Autre apport majeur de Liège à la Révolution française : Anne-Josèphe Terwagne, future Théroigne de Méricourt, surnommée « la belle Liégeoise ». Une personne hors du commun pour l’époque, dont Eugène Delacroix s’inspira pour son tableau « La liberté guidant le peuple » et à laquelle la ville de Liège rend aujourd’hui hommage en baptisant « la belle Liégeoise » la passerelle cyclo-pédestre qui enjambe la Meuse.

Recevant une délégation liégeoise à l’Élysée, le 3 juin 1996, le président Jacques Chirac avait tenu à rappeler ces liens particuliers entre Liège et la République : « Je voudrais surtout vous dire que Liège occupe une place à part dans le cœur des Français. Ces liens ont été tissés par l’Histoire. Dans toutes les épreuves, vous avez été à nos côtés. (…) J’irai plus loin ; c’est une région qui fait honneur à la culture française. Aujourd’hui, ce ne sont pas des visiteurs étrangers qui sont présents à l’Élysée mais des compagnons, des frères. »

Il ne fait aucun doute que notre commerce et notre industrie prospérèrent sous le régime français. Mais la vie culturelle y trouva aussi largement son compte. Au 18e siècle, Voltaire accueillit à bras ouverts le jeune Liégeois André-Modeste Grétry avant de le recommander à Paris. « Grétry est tellement le maître de l’époque, écrit Jean Cathelin, qu’on lui attribuera toujours, pour le meilleur ou pour le pire, le airs célèbres du temps. » Et d’ajouter : « Les instrumentistes liégeois accourent se faire reconnaître par Paris, avent de rentrer plus tard en vedettes au théâtre de la Monnaie à Bruxelles ou à l’Opéra de Liège. »

Bien d’autres exemples témoignent de l’intérêt porté par Paris à nos artistes. Citons, par exemple, les frères Redouté ou le sculpteur  François-Joseph Rutxhiel, dont, souligne Cathelin, « le ciseau a été capital aux Invalides et à la colonne Vendôme, comme au Père-Lachaise. »

En pensant à Félicien Rops, à César Franck, à Charles Plisnier, à Henri Michaux, à Georges Simenon, à Jacques Brel, à Marie Gillain, à Benoît Poelvoorde, aux Frères Dardenne, à Philippe Geluck, entre autres, comment ne pas être d’accord avec Jean Cathelin lorsqu’il conclut : « Il n’en était pas moins nécessaire pour un « artiste français » de Belgique d’avoir d’abord été reconnu à Paris pour revenir dans sa province se couvrir de gloire et de commandes officielles. »

Nous souhaitons laisser le mot de la fin à l’académicien belge Charles Bertin : « Je proclame que ma patrie mentale, c’est ma langue, et que ma langue est française. Que si je suis un citoyen belge, je suis un écrivain de Picardie, et que la Picardie, au même titre que le Périgord ou la Touraine, et avec les nuances qui résultent de la géographie et des particularités locales, est une province des Lettres françaises. Ces nuances, que je viens d’évoquer, nul n’a jamais songé à les nier, mais elles existent aussi entre la Lorraine et la Poitou, le Languedoc et le Limousin, l’Aunis et le Soissonnais, l’Aquitaine et la Franche-Comté. Il n’y a d’ailleurs pas lieu de les regretter. Au contraire : elles sont la couleur et l’humeur de nos diversités. »